17 février 2013

Oh! On verra plus tard



Le système politique dans lequel nous vivons a cela d’exceptionnel qu’au-delà des quelques années que dure un mandat, nul dirigeant n’est responsable des décisions prises au cours de celui-ci. Il est même fichtrement pervers, en ce que les décisions prises, en matière d’économie notamment, voient souvent leurs effets se matérialiser des années plus tard. Autrement dit, c’est maintenant qu’il faudrait commencer à juger l’action de Sarkozy. Essayez d’imaginer comme ce serait drôle de voir le temps médiatique en décalage de cinq ans avec celui de la prise de décision ? Attendre cinq ans, voire dix, avant de juger l’intervention au Mali, le Mariage pour tous, les décisions économiques, sociales etc., puis décider si l’on met au pilori (pas seulement médiatique) ou non celui qui a pris les décisions à ce moment-là. Les décisions prises seraient-elles différentes ? Ben tiens.

Assez rêvassé, revenons à nos moutons. L’intégrité de notre système, bien qu’étant « le pire à l’exception de tous les autres » (sic), repose sur un maillon tellement faible que je m’en trouve, naïvement et modestement, presque confus d’être un des seuls à le formuler ainsi depuis longtemps : l’intégrité de ses dirigeants. N’est-il pas très dangereux de confier les rênes d’un pays à un individu qui n’est attaché à son devoir que par sa bonne foi pour une durée limitée ? Si j’avais le culot d’un Desproges, je daignerais même affirmer que cette pensée suscite en moi une once d’admiration pour les nombreux dictateurs qui ont au moins assumé l’exercice du pouvoir et ses conséquences jusqu’à leur mort naturelle ou provoquée. Si on y réfléchit, confier l’exercice du pouvoir à un élu multi-récidiviste de métier depuis trente ans, dont le seul risque après 5 ans à la Présidence de la République est de ne plus pouvoir prendre le métro ou d’aller à la boulangerie de la mère Michu en bas de la rue, cela équivaut un peu à confier le volant de sa Ferrari à un immortel : au fond, hormis pour sa conscience, il doit pas en avoir grand-chose à foutre si il crashe ceux qui sont sur la banquette arrière.

L’inverse est vrai aussi, car si l’on maintient notre hypothèse selon laquelle toute décision d’ordre politique majeure ne génère des effets observables et analysables que plusieurs années plus tard, il en est de même de tout le crédit lié à une bonne mesure, dont profitera sans aucun doute celui qui jadis était un opposant. Bref, pour notre dirigeant, le jugement de l’histoire à dix ans, il n’en a pas grand-chose à carrer, étant donné que dans dix ans l’histoire l’aura oublié sur l’autel des exploits filmés de la nouvelle Kim Kardashian. C’est triste, injuste, mais c’est comme ça. D’ailleurs, vous, votre institutrice bienveillante qui vous disait « Tu me remercieras plus tard », vous l’avez remerciée depuis ? Non, ben vous voyez, vous ne valez pas mieux, mais ce n’est pas de votre faute, c’est juste le système qui veut ça. Pourtant vous la remercieriez bien.

Car vous avez parfaitement compris où je veux en venir. Loin de nous l’idée que notre système est passé, en l’espace de deux paragraphes, au « pire à l’exception de nul autre » (sic – elle est de moi celle-là). Mais il est légitime de se poser des questions sur ce qui détermine réellement les décisions politiques des dirigeants. Or, la nature temporaire du mandat électoral dans un système démocratique conjuguée à l’immédiateté des attentes générées par un système médiatique  intégré, aux multiples plateformes, génère naturellement un biais en faveur des décisions aux conséquences directement et rapidement observables, et ce au détriment des conséquences lentes, à long terme, qui affectent profondément la société, sans que tout un chacun s’en rende compte. C’est même plus pervers que cela, car le système politico-médiatique fait en sorte que ces dernières n’existent même pas, en les oubliant dans un optimisme péremptoire de type « mais noooon » ou « oh on verra bien », en supposant qu’un problème ne doit être traité qu’au moment où il se pose, et non où il devient visible.

Vous pouvez appliquer cela à tous les sujets, économiques, sociétaux, internationaux, environnementaux. La lutte contre le réchauffement climatique en est un exemple parfait : « oh on trouvera bien quelque chose ». L’augmentation des impôts ? On voit les 0 qui entrent dans les caisses (ou pas…), mais on voit moins le niveau des investissements qui baisse à l’horizon 5 ou 10 ans. Pour les sujets sociaux, je vous laisse juger.

Finalement, la décision politique répond aux mêmes lois que le marketing : si cela ne se sait pas, cela n’existe pas. Et c’est ainsi que nous construisons la société de demain : en prenant des décisions dont l’impact au-delà de 5 ans n’est même pas envisagé. Jusqu’à présent, avec de l’énergie pas chère et des ressources illimitées pour générer de la croissance, ça passait. Mais à partir de maintenant, pas besoin d’experts pour constater que cela va être plus compliqué. A l’heure où le véritable défi pour l’humanité est celui de la durabilité de son système économique, faire reposer les réponses sur un système qui a consacré le règne du court-terme, c’est pour le moins très ambitieux, pour ne pas dire que c’est de la connerie. Votre maîtresse d’école, si elle vous avait encouragé à jouer à Call of Duty au lieu de faire vos devoirs, auriez-vous simplement envie de la remercier ? Permettez-moi d’en douter.

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