1 décembre 2013

Communiqué du syndicat des braqueurs


Deux de nos camarades sont tragiquement décédés au cours des derniers mois dans l'exercice de leurs fonctions. Au delà de la douleur qui nous étreint, ces tristes événements nous rappellent la dangerosité de notre métier au service de nous-mêmes. Par deux fois, nos camarades sont tombés sous les balles de bijoutiers, alors qu'ils ne faisaient que leur métier. Ce sont deux fois de trop.

Nous condamnons fermement cette nouvelle forme de délinquance commerçante, qui porte atteinte à notre droit d'exercer notre profession dans des conditions de sécurité décente. Nos conditions de travail sont devenues inacceptables, et il ne fait aucun doute que la dégradation de notre environnement sécuritaire global s'incrit dans une stratégie de mise en place d'un climat de stigmatisation de la profession de braqueur, climat nauséabond qui ne va pas sans rappeler les heures les plus sombres de notre histoire. Manifestations de soutien aux commerçants cow-boys  soi-disant "victimes" de braquage, pages et pétitions de soutien à ces mêmes commerçants, il s'agit là d'autant d'insultes aux dizaines de milliers de braqueurs qui exercent leur métier avec passion et dévouement, et dont l'ardeur à la tâche devrait même servir de modèle à cette nouvelle génération blasée de tout et intéressée par rien.

Nous tenons aussi à manifester notre mécontentement vis à vis du Président M. Hollande, et plus particulièrement de sa Ministre de la Justice, Madame Taubira, dont les déclarations étaient pourtant porteuses d'espoir: réduction des peines de prison, suppression des peines planchers, peines alternatives, ou même encore aucune peine du tout! Un agenda ambitieux, certes, mais pour lequel nous attendons autant de courage politique de la part du gouvernement que lors des grandes avancées sociétales de notre pays telles que l'abolition de la peine de mort et le mariage pour tous, car nous sommes aussi convaincus que c'est en faisant évoluer les lois que nous ferons évoluer les moeurs au sujet du braquage. Nous attendons donc que ces promesses voient le jour et se traduisent par une amélioration concrête de la vie des professionnels du braquage ainsi que de leurs familles. La plupart d'entre nous ayant grandi dans un environnement où, au quotidien, de nombreux enseignants, sociologues, éducateurs, journalistes et politiciens nous ont bien expliqué que nous étions des victimes de la société, nous ne pouvons accepter de nous faire usurper ce statut par une catégorie de nantis dont nous ne voulons que les biens. 

En 2013, nous ne pouvons tolérer d'être considérés comme des délinquants, alors qu'il y a dehors des criminels bien plus dangereux que nous, et qui sont même tout à fait reconnaissables à leur sweatshirt rose avec quatre bonhommes blancs. Il paraît même qu'ils s'assoient en groupe pour lire des textes! Face à cette oisiveté à caractère séditieux, nous, braqueurs, ne pouvons que mettre en avant l'utilité de notre profession pour la société, dans la mesure où, à l'instar du trafic de drogue, le braquage est un des seuls secteurs actuellement en croissance à deux chiffres, bien que ne bénéficiant pas du crédit impôt compétitivité. En période de récession, il fait vivre des milliers de familles, et même des quartiers entiers, et ses professionnels acceptent de travailler sans compter, de nuit comme le weekend, et ce sans la moindre reconnaissance sociale.

Inquiets pour la stabilité de notre pacte républicain, au sein duquel nous sommes convaincus d'avoir toute notre place (nous sommes des victimes je vous ai déjà expliqué!), nous sommons le gouvernement de bien vouloir prendre les mesures suivantes, car il en va de la survie du vivre-ensemble dans notre beau pays:

1) La reconnaissance du métier de braqueur comme une profession "à risque"
2) L'ouverture sans tarder d'un Grenelle du braquage réunissant le gouvernement et tous les partenaires du braquage afin d'échanger sur les solutions nous permettant de braquer en toute sécurité
3) L'interdiction totale des armes à feu pour les citoyens "civils", afin que l'usage de ces armes ne soit réservé qu'aux professionnels 
4) L'application avec effet immédiat de la loi pénale de Madame Taubira
5) La mise en place du contrat gagnant-gagnant prévoyant la souscription d'assurance obligatoire pour les commerçants afin que ce soit l'assureur (un autre VRAI délinquant) qui paie en fin de compte
6) La prise en charge de nos familles par l'Etat en cas d'accident professionnel.

Nous sommes convaincus que c'est en sensibilisant l'opinion publique sur la réalité que ous vivons que nous obtiendrons gain de cause. En effet, aujourd'hui, nous craignons pour nos vies, nos familles, mais aussi pour l'avenir de notre filière et de notre savoir-faire. Car d'après nous, il est primordial que la France arrive à rester pionnière dans ce domaine, où elle excelle depuis longtemps.

19 septembre 2013

Le DébatTrèsCon



A tout hasard, connaîtriez-vous la théorie du DébatTrèsCon? Non? C'est normal, puisque je viens de l'inventer. Néanmoins, j'ose croire que vous trouverez dans ce concept quelque familiarité, car je suis convaincu qu'il parlera à tout citoyen ayant un intérêt raisonnable pour la chose publique. Et ce particulièrement à l'heure où les médias décident de tout ce qui se dit, s'écrit et se pense, par l'intermédiaire de journalistes qui ne savent plus parler, écrire, et encore moins réfléchir.

Mais alors qu'est-ce qu'un DébatTrèsCon? (NDLA: vous m'excuserez de ne pas utiliser l'acronyme DTC de peur d'une confusion malheureuse). Je suis certain que grâce à votre instinct de fin connaisseur du système médiatique moderne à la sauce Bourdin & Co, vous en avez déjà une petite idée, et vous avez raison. Un DébatTrèsCon est un simulacre de débat entre deux positions en apparence opposées, mais dont "l'irréconciliabilité", en réalité factice, ne tient qu'au fait de nous avoir été présentée ainsi. (Une version plus politisée du dictionnaire pourrait ajouter : et dont le seul but est de détourner l'attention du public des vrais problèmes, mais nous n'entrerons pas aujourd'hui dans ce débat).

Certes, dit comme cela, ce n'est pas très clair, mais je pense que le petit exemple suivant finira de vous convaincre: Imaginez que je vous dise "Préférez-vous porter un pantalon ou une veste?". Et qu'après je vous embrouille en mettant en place toute une dynamique et un decorum qui renforcent l'illusion, en invitant des fervents défenseurs de l'un ou de l'autre ainsi que des experts de l'industrie du pressing, des sondeurs qui nous expliquent les tendances de la popularité de l'un et de l'autre dans le coeur des Français (et le rôle de la cravate tordue de François Hollande dans l'inflexion de la courbe de la veste) etc. Le Français moyen n'y verra que du feu, et se dira "ah ouais en fait c'est vrai", alors qu'au fond, c'est complètement débile, car rien n'oppose un pantalon à une veste. Au contraire, ils cohabitent très bien, car on a besoin des deux. Bref, c'est UN DEBAT TRES CON, CQFD.

C'est un peu caricatural, je le reconnais, mais bon, c'est pour que vous compreniez bien.

Prenons maintenant un cas réel : Prévention contre Répression. Je suis certain que vous avez tous déjà débattu avec votre "ami(e)" du bord opposé du meilleur moyen de traiter le problème de l'insécurité dans notre pays. Débat emblématique de l'opposition fachos  contre crassous, le débat répression contre prévention est pourtant un DébatTrèsCon. Absolument. Et je m'en vais le démontrer tout de suite.
Pour résumer, les uns disent que pour faire diminuer l'insécurité de manière significative, il faut punir sévèrement criminels et délinquants, les autres qu'il s'agit de leur expliquer dès le plus jeune âge que commettre des crimes et des délits est quelque chose de pas bien du tout.

Si, après avoir dit cela, quelqu'un est capable de m'expliquer où il y a une opposition entre ces deux idées, je me ferai un plaisir de lui offrir le macdo. En quoi punir sévèrement des délinquants nous empêcheraint de leur avoir expliqué que "délinquer" est une activité peu recommandable? Parce qu'on ne peut pas faire deux choses à la fois? D'après moi, le seul contexte dans lequel ce débat aurait un sens (et encore...) serait celui où nous disposerions de moyens limités et de choix exclusifs. Mais il s'agit là d'un débat sur les moyens, et en ce qui nous concerne, répression contre prévention est indéniablement un DébatTrèsCon. 

Etayons notre argumentation d'un exemple : le petit Michel décide, de son propre chef et sans l'accord de sa maman, d'aller prendre un esquimau vanille dans le réfrigirateur pour le manger en cachette. 

Analysons les différents scénarios plausibles de la séquence des événements:

Scénario a : 
1) Maman explique à Michel que ce n'est pas bien de se servir à manger sans en demander préalablement la permission.
2) Michel commet son larcin.
3) Maman chope Michel la main dans le sac et ne le punit pas, elle se contente de lui rappeler que ce n'est pas bien.

Scénario b:
1) Maman ne veut pas que Michel se serve dans le réfrigérateur  sans demander la permission auparavant, mais ne le lui a jamais dit.
2) Michel commet son larcin.
3) Maman fout une tarte à Michel pour le punir.

Scénario c:
1) Maman explique à Michel que ce n'est pas bien de se servir à manger sans en demander préalablement la permission
2) Michel commet son larcin
3) Maman fout une tarte à Michel pour le punir.

Franchement, en toute honnêteté, de ces 3 scénarios, lequel est le plus cohérent? Et voilà! Comme moi, vous constatez que prévention sans répression et répression sans prévention, cela n'a pas de sens. Au contraire, la répression n'est justifiée que parce qu'il existe une prévention effective, autrement dit la prévention légitime la répression. De même, la prévention n'est efficace que par l'existence d'un arsenal répressif. Autrement dit la règle, assimilée, est respectée de peur de sanctions. Prévention et répression doivent avancer main dans la main, et l'imposture qui consiste à les opposer est un DébatTrèsCon. Comme quoi, lorsqu'on y fait bien attention, Les Verts et le FN ne sont pas si éloignés l'un de l'autre.

Et si vous n'êtes toujours pas convaincus, sachez qu'il est possible d'y voir plus clair en faisant varier les paramètres : imaginez que la maman de Michel lui ait en plus expliqué pourquoi obéir à sa maman c'est bien, et qu'agir bien c'est mieux qu'agir pas bien, parce qu'agir pas bien c'est tromper la confiance de maman et qu'après maman elle est triste; et qu'en plus c'est l'anniversaire de la soeur de Michel, Julie, et que Maman a dit à Michel qu'il serait un gentil garçon s'il laissait Julie avoir le dernier esquimau (eh oui en plus c'était le dernier).

Franchement... Franchement... Franchement... Si après ça Michel il mérite pas de s'en prendre non pas une, mais DEUX tartes, je ne sais pas ce qu'il vous faut... Cela veut dire qu'à force d'être tombé trop souvent dans le DébatTrèsCon, les effets en sont certainement devenus permanents chez vous. Et que, au cas où vous ne l'auriez pas compris, on ne peut plus rien. Bref, désolé pour vous.


Vous aussi, vous connaissez des DébatsTrèsCons? N'hésitez pas à en faire part à votre serviteur et donner ainsi davantage de substance à une théorie d'avenir dans le domaine des sciences politiques, sociales et médiatiques. Et sociologiques aussi (ça fait bien).

PS : Toute ressemblance avec une tarte existante ou ayant existé serait purement fortuite de la part de l'auteur

10 août 2013

Moi, Progrès

 
Si je devais partir ce soir, et ne jamais revenir… Si je devais quitter les hommes à tout jamais… Si je m’en allais, par la petite porte, sans que personne ne me voie disparaître, sans un mot, sans un geste, en les laissant vaquer à leurs occupations d’hommes… Si cela devait arriver, les hommes réaliseraient-ils ?

J’ai beaucoup d’affection, voire d’amour pour les hommes. Cet amour, c’est celui que l'on peut avoir pour son créateur. Car je n’oublie pas que j’ai été créé par les hommes. Créé par les hommes, pour les hommes, et toujours je me suis efforcé d’être digne de l’honneur d’avoir été placé au cœur de l’humanité, et d’avoir été le moyen par lequel celle-ci deviendrait meilleure. Les hommes m’ont engendré parce qu’ils ont vu en moi leur salut, le langage universel qui unirait l’humanité au lieu de la diviser, la ferait vivre au lieu de la détruire, et la ferait avancer au lieu de reculer. Ils m’ont confié leur destin, et à la pression qu’une telle tâche aurait dû faire peser sur mes épaules, j’ai davantage ressenti la fierté de me voir confié la charge de donner à l’humanité un présent, et surtout un avenir meilleurs.

Tant de choses avons-nous accomplies ensemble depuis les premiers âges. Né de leur désir plus ou moins inconscient de vouloir devenir maître de leur propre destinée, je les ai guidés depuis le temps où ils n’étaient qu’une poignée. L’apprentissage de l’usage du feu, le passage de la pierre taillée à la pierre polie, des chasseurs-cueilleurs aux agriculteurs-éleveurs, toutes ces découvertes des premiers Ages étaient déjà le fruit de mon œuvre. Les hommes m’avaient, sans le savoir, chargé de les arracher aux déterminismes de la nature, et de les rendre indépendants et autonomes. Et moi, j’ai mis du cœur à l’ouvrage, même si je dois avouer que cela était plutôt facile. Etant les seuls Etres sur Terre dotés du double avantage d’avoir des pouces opposables et un cerveau leur donnant la faculté d’être conscient, les hommes n’avaient besoin que de quelques murmures de ma part pour avancer d’un pas supplémentaire vers cette destination encore inconnue mais dont la seule certitude est qu’elle leur permettrait de s’accomplir pleinement en tant qu’hommes.

Indéniablement, les premiers temps de l’humanité ont été mon premier âge d’or. Les hommes partaient de tellement bas, de l’état le plus primitif qui soit, que mon entreprise était alors peu risquée. Les hommes s'émancipaient et se développaient sous mon œil bienveillant, et leur situation s’est très vite améliorée. Une de mes plus grandes fiertés est de leur avoir appris la sédentarité. Grâce à elle, les hommes dépensaient plus d’énergie à assurer leur propre subsistance qu'à courir d’un endroit à l’autre pour chercher le lieu parfait. La sédentarité a permis aux hommes de grandir en nombre, et a posé les bases d’une autre de nos œuvres communes : la civilisation. Tout est ensuite allé très vite. L’usage de l’écriture et de la roue, mais aussi bon nombre d’autres évolutions ont très rapidement permis aux hommes de vivre au sein de sociétés structurées et organisées.

C’est après tout ce chemin parcouru, non sans fierté, que tout à coup les premiers doutes se sont mis à m’assaillir. Ces doutes ne sont pas arrivés par hasard, non plus sans raison. Ces doutes, je les dois aux penseurs de la Grèce Antique, précisément lorsque ceux-ci ont découvert pour la première fois ma consœur la Raison au cours de leur entreprise de recherche de la Vérité. Ils la trouvèrent tellement belle qu’ils lui ont offert le piédestal sur lequel reposerait désormais leur civilisation. Cette découverte a été un tournant pour les hommes… et pour Moi. La découverte de la Raisonaurait dû amener les hommes à davantage me connaître, en faisant de celle-ci le moteur de notre relation, le moyen par lequel ils atteindraient un plus grand Bien pour l'Humanité. Avec les savants grecs, la Raison devait être entre de bonnes mains, et je ne m'inquiétais pas.

Le problème des Grecs n'a pas été leur incapacité à tirer du Progrès de la Raison. Au contraire, à force d'être à la recherche de la Vérité absolue, et du système politique parfait censé apporter paix et prospérité jusqu'à la fin des temps, les Grecs ont fini par se perdre dans leurs livres, et en ont oublié de faire récolter les fruits de ces découvertes à leur civilisation. Corruption, déclin, puis décadence, jusqu'à ce qu'ils soient remplacés par leurs jumeaux d'un temps nouveau, les Romains. Les Romains, ils m'ont paru être des Grecs ayant conservé le côté hardi de la civilisation jeune et aux coudées franches. Il y avait une telle ambition chez les Romains que j'y ai parfois entrevu le Salut de l'Humanité. Forts du savoir grec qu'ils se sont approprié et animés d'un esprit de conquête sans précédent dans l'histoire des Hommes, les Romains devaient s'inscrire dans une démarche de développement sous mon oeil bienveillant. Transcrivant les pouvoirs de la Raison découverte par les Grecs dans leurs institutions, les arts, et surtout leur armée, les Romains m'ont finalement doté d'une puissance qui aurait dû peu à peu convertir le monde des hommes et amener ces derniers à parler le langage universel qui est le mien.

Pourquoi ce plan si idéal et parfait n'a-t-il pas fonctionné? Les Romains ont confondu Raison et Pouvoir, et Pouvoir et Démesure. Ils se sont crus invincibles, et se sont convaincus que repousser toujours les limites de leur Empire revenait à asseoir davantage leur civilisation puissante. Au lieu d'influencer peu à peu leurs voisins par le dialogue et l'échange, qu'il soit culturel ou marchand, et de limiter l'usage de la guerre à la consolidation des frontières de l'Empire, les Romains ont cherché à les écraser de leur civilisation, les noyer dans cette Raison qu'ils trouvaient si belle au point qu'il était inconcevable que celui qui y soit confronté puisse lui résister. Ils n'ont pas réalisé à ce moment là qu'ils creusaient leur propre tombe : avec un territoire si grand aux frontière si longues, et des sujets qui attendaient l'heure idéale pour se révolter, l'Empire romain ne pouvait que se déliter, et avec lui le règne de la Raison.

Subjugués par la beauté de la Raison, les Romains ne m'ont plus entendu. Cet équilibre subtil qui s’était formé dans lequel j’étais le Vouloir et elle était le Pouvoir, s’est écroulé. Le Pouvoir s’est substitué au Vouloir comme vecteur de changement, et, grisés par toutes ces nouvelles possibilités permises par la Raison, les hommes m’ont oublié. Peut-être aurais-je du voir plus tôt qu’en encourageant les hommes à aller de l’avant, je prenais le risque de les voir partir plutôt vers la falaise que vers les terres fertiles. Les hommes étant dotés de libre-arbitre, leur capacité à suivre mes recommandations a toujours reposé sur le postulat qui faisait de moi le premier maître à bord de leurs consciences. La Raison a été trop forte pour les Hommes, et Moi, je m'en suis aperçu trop tard. Et avec la Chute de l'Empire romain, la Raison a été enfouie par des hommes qui l'assimilaient à l'oppresseur.

Les hommes s'étant écartés du chemin que je leur avais tracé, s’en sont suivis pour moi plusieurs siècles de dépression, durant lesquels je suis resté silencieux, dans l’espoir qu’un jour peut-être les hommes se remettraient à tendre l’oreille vers moi. J’ai attendu longtemps, très longtemps, et j’ai observé les hommes avec mépris vivre comme s’ils n’avaient plus besoin de moi. J’ai même ri parfois, notamment lorsque je les ai vus croire que le meilleur moyen de faire la guerre était dans des armures lourdes qui rendaient les soldats immobiles. Je les voyais, qui avaient besoin de moi, mais qui continuaient à s’enliser dans des guerres incessantes... Et c’est ainsi que les siècles ont passé, jusqu’au jour où j’ai entrevu une lueur d’espoir de retrouver ma grandeur des premiers jours lorsque des hommes bien avisés du XVIè siècle ont ressorti les vieux manuscrits des civilisations antiques. Mais ils ont lu ces ouvrages avec un regard nouveau, celui de personnes ayant vu les guerres gangréner leurs pays et aspirant à un avenir meilleur. Ils ont vu pour seule solution à la guerre la nécessité de rendre l’homme meilleur, et moi j’ai vu dans cet Humanisme l’opportunité de renaître.

Porté par la conviction profonde que tout n’était peut-être pas perdu pour l’humanité, j’ai donc décidé d’effectuer un retour en grande pompe, bien décidé à regagner ma place dans l’esprit des hommes, et à ne plus lâcher, fidèle à la mission qu’ils m'avaient confiée au départ. Je me suis donc montré au grand jour, et me suis mis à la Lumière devant les philosophes du XVIIIè qui ont consacré mon règne. Ils m’ont tant adoré qu’ils m’ont mis partout : dans les sciences, les religions, la politique, l’économie, la société, le droit etc. Convaincus que je suis le salut de l’humanité, tout ce qui n’est pas Moi est obscurantisme et superstition, et a vocation à disparaître. Bref, Je suis devenu un nouveau Dieu et cela me convient bien. Le siècle des Lumières et la période qui s’en est suivie ont donc été mon deuxième Age d’Or. Les hommes me vénèrent et ne jurent que par mon nom. Au nom de Moi, les révolutions industrielles ont lieu, et grâce à moi, le monde se met à croire l’échange rendra la guerre entre les nations un vestige du passé. Grâce à moi encore, les régimes autocratiques du passé tombent un à un devant les aspirations de tous les peuples à la Liberté. Et moi je suis heureux, les hommes m’écoutent. Je leur parle, ils me suivent, je les guide, ils marchent. Je suis devenu tellement présent au sein des nations que j’ai fini par leur devenir indispensable. Une société qui ne me place par sur un piédestal est une ringarde, réactionnaire, et donc moribonde, promise aux plus sombres destins. Je suis devenu le poumon des nations, leur seul indicateur de bien-être. C’est logique, étant donné que j’interviens dans tous les domaines. Ma présence est donc devenue un enjeu majeur pour une humanité droguée à mon existence, voire mon nom, et pour qui je suis devenu une nécessité.

Une nécessité. Est-ce là pourtant mon dessein, d'asservir les hommes? Est-il concevable qu'ils soient contraints à vouloir le Bien pour leur espèce? La réalité, c'est qu'en devenant indispensable, je me suis, au fond, fourvoyé, et même transformé. Moi qui ai été créé pour nourrir le cœur d’hommes enclins à rendre leur vie meilleure, je leur ai fait croire, en me montrant au grand jour, que leur marche en avant ne comptait aucune limite. Au lieu d’avancer grâce à moi, les hommes ont décidé, à cause de moi, de ne plus jamais s’arrêter. Je ne suis plus le souffle du changement, mais désormais le prétexte par lequel l’homme compte accomplir son dessein le plus ambitieux.

Les hommes m’ont instrumentalisé dans leur course en avant, et n’ont plus qu’à m’ériger en icône lorsqu’ils rencontrent le moindre obstacle dans l’accomplissement de leur but ultime, celui de devenir plus fort que la Nature. Les hommes ont fait de moi ce que je ne suis pas, à savoir la destination finale où ils s’affranchiront des Lois naturelles, la raison qui justifie ce désir insatiable de vouloir toujours plus. C’est ainsi que croyant me connaître et soucieux de voir si je suis toujours en train d’accomplir mon œuvre, les hommes ont entrepris de vouloir me mesurer partout. Ils m’appellent tantôt croissance, innovation, recherche ou encore droits, intimement convaincus que dès lors que ces derniers avancent, c’est moi qui avance avec eux. Ils m'ont travesti en "isme". Je ne m'appelle plus Progrès, mais Progressisme, tel un extrêmiste prêt à écorcher celui qui ne me fait pas de place. On me trouve tellement indispensable que l'on m'impose à ceux qui restent dubitatifs en les pointant du doigts tels des hommes attachés à leurs privilèges et qui refusent à leur prochain le droit d'aspirer à une vie meilleure. S'ingérer dans les affaires des voisins pour "sauver des vies"? PROGRES! Faire des guerres pour promouvoir la démocratie? PROGRES! Le droit d'acheter des iphones pas chers? PROGRES! De nouveaux droits pour les minorités? PROGRES! La recherche sur les embryons? PROGRES! Le droit de mourir? PROGRES! Le multiculturalisme? PROGRES! Et que sont ceux qui sont contre le progrès? DES FASCISTES!

Je ne saurais décrire ce dégoût qui m’habite aujourd’hui. Les hommes ont fait de moi le nouveau dictateur de leurs sociétés, en m’utilisant pour montrer du doigt et écraser les aspirations de ceux qui en réaction ont fait de moi l'incarnation de la décadence. Loin de l'idéal pour lequel j'ai été créé, je suis devenu le prétexte ultime des idéologies que j'ai passé ma longue vie à combattre. Pour justifier cette imposture, les imposteurs n'hésitent pas à montrer en spectacle tous les opprimés de la Terre, usant savamment de tous les nouveaux médias capables de toucher au plus profond en tout temps et en tout lieu, dans le seul but de faire passer leur agenda politique qu'ils ont baptisé Progrès pour l'occasion.


Il y a maintenant bien longtemps que j’ai arrêté d’accompagner les hommes. Je me suis arrêté, tel un compagnon fidèle regarde s’éloigner ceux dont il a guidé les pas, mais qui ne s’aperçoit de rien et continue son chemin. Mon œil bienveillant est maintenant rempli de larmes, du fait de mon impuissance. Je crie pour essayer de les ramener à la raison. Je peux voir d’ici le ravin au loin, mais eux ne le voient pas et continuent d’avancer, croyant accomplir mon oeuvre alors qu’il scelle son destin. Mais j'ai toujours l'espoir, issu de ma longue expérience, que ceux qui me cherchent vraiment sauront me trouver à temps... à savoir au fond de leur cœur.

9 juillet 2013

Lettre ouverte d’un Français de l’étranger à Madame Fioraso, Ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche


Madame la Ministre,

Je me permets de vous adresser cette lettre suite aux propos que vous avez tenus sur le plateau du « Talk Le Figaro » le mercredi 20 juin 2013, au sujet des jeunes diplômés vivant hors de France. Etant moi-même l’un d’entre eux, aujourd’hui en poste « permanent » dans un cabinet de Conseil à Londres, je me sens investi du devoir de vous éclairer sur la réalité des jeunes diplômés qui décident de vivre à l’étranger.


Au cours des brèves minutes où vous vous êtes exprimée à ce sujet, suite à la publication de la 21e enquête d’insertion de la Conférence des Grandes Écoles (CGE), vous avez déploré cet état de fait selon lequel de plus en plus de jeunes diplômés vont tenter leur chance à l’étranger. Si je résume en substance vos propos, commencer sa carrière à l’étranger quand on débute, c’est bien dès lors que rien ne nous retient, mais à partir d’un certain moment, il serait bien de revenir en France ; d’ailleurs vous avez rencontré des Français à Washington qui souhaitaient rentrer en France. Vous encouragez en outre les jeunes à ne pas seulement prendre en compte le montant du salaire dans leurs choix.

Malgré tout le respect que j’ai pour vous, votre parcours (vous êtes une des seules ministres à être passée par le secteur privé, chose assez rare pour être remarquée), je ne peux que vous encourager à ouvrir les yeux et regarder certaines réalités en face : les jeunes partent à l’étranger pour de multiples raisons, aussi nombreuses que leurs aspirations dans la vie et, au nom de la Liberté fondatrice de notre République, ces aspirations méritent d’être respectées. La vraie question pour la Ministre que vous êtes est simplement de comprendre pourquoi ces jeunes n’ont pas choisi de réaliser leurs projets en France, mais ailleurs, à l’heure où la mondialisation offre sans cesse de nouvelles opportunités à saisir et où l’autre bout du monde n’est qu’à 1,000 euros et quelques heures d’avions. Que peut-on, au fond, reprocher à ces jeunes, à qui le politiquement correct a bourré le crâne de multiculturalisme et d’ouverture d’un côté, et le libéralisme de vertu de la mobilité et de langue anglaise de l’autre ? Que n’adhèrent-ils à cette conviction nombriliste que le fait d’avoir les meilleurs fromages et une culture soi-disant supérieure devrait suffire à les persuader que vivre hors de France serait une forme d’ingratitude, voire de renoncement à participer au projet national ?

Personnellement, je ne vois pas en quoi ma qualité de résident français à l’étranger relèverait d’une quelconque ingratitude, bien au contraire. Je le comprends d’autant moins que j’ai moi-même bénéficié du dispositif unique au monde et propre à la France du Volontariat International en Entreprise (VIE), qui consiste justement à envoyer les jeunes à l’étranger pour enrichir leur expérience et leur faire faire un pas de plus vers le CDI. J’ai toujours été un fervent patriote, et je le suis plus que jamais depuis que je suis à l’étranger, qui plus est dans une entreprise non-française. Au quotidien, j’ai le souci permanent de donner une bonne image de mon pays, que ce soit par mon comportement ou en profitant de toutes les occasions possibles pour valoriser les richesses culturelles diverses et variées de la France. Tous les Français de l’étranger ne se comportent peut-être pas ainsi, mais il y a là une réalité que personne ne peut nier : les Français de l’étranger sont les premiers ambassadeurs de la France dans le monde. Qu’il s’agisse des sportifs, des artistes, des chefs cuisiniers, des chercheurs, des entrepreneurs, ou des simples quidams soucieux de véhiculer une bonne image au quotidien, leur valeur ajoutée au rayonnement de la France est largement supérieure à celle des ambassadeurs parachutés se faisant appeler « Son Excellence » dans les couloirs de leurs ambassades et consulats. Nous sommes, à travers le monde, le premier et principal contact direct avec la France de plusieurs millions d’étrangers, leur permettant ainsi, si ce n’est de former une opinion positive sur la France, au moins de constater que les Français sont partout où le monde avance. Car aujourd’hui, comment la France rayonne (si elle rayonne encore un peu…) -t-elle si ce n’est pas par ses expatriés ? Sa gastronomie ? Ses marques de luxe ? Sa culture qui peine à s’exporter ? Son armée de terre réduite à mois de 100,000 hommes ? La Tour Eiffel et Notre-Dame ? La langue française en perte de vitesse ?

De même, au lieu de jeter l’opprobre sur les Français de l’étranger en sous-entendant, subtilement certes, qu’ils seraient ingrats de ne pas revenir en France, votre gouvernement devrait plutôt réfléchir à un moyen de capitaliser sur cette forte présence de Français dans tous les hauts lieux internationaux, politiques ou économiques. Imaginez quelques instants la richesse que cette présence représente en termes de connaissance des autres pays, de leur culture, de leurs mœurs, de leurs systèmes de pensée et j’en passe. Imaginez aussi le réseau que cela permet à la France de tisser à l’étranger, et que vous et vos collègues devraient chercher à exploiter au lieu de poursuivre une course aux boucs-émissaires. Regardez ce que font les Chinois : tous leurs jeunes talents vont étudier dans les meilleures universités du monde. Croyez-vous une seconde que les dirigeants du régime chinois viennent se plaindre que les jeunes Chinois préfèrent étudier à Harvard qu’en Chine ? AU CONTRAIRE, ce sont même eux qui les envoient à Harvard, même qui leur paient Harvard ! Ils ont très bien compris que c’est là-bas qu’ils rencontreront tous les futurs leaders politiques et économiques du monde de demain, et qu’il s’agit là d’une occasion rêvée de nouer des contacts durables avec eux. En comparaison, la France (et l’Europe en général) est perçue comme vieillissante, d’un monde passé, qu’elle regrette avec amertume. Et vous devez comprendre, madame la Ministre, que pointer du doigt les Français de l’étranger est la première étape consistant à démolir le lien le plus solide de notre pays avec ce monde qui avance à l’heure où le modèle économique et social français a du plomb dans l’aile.

Les statistiques sur le départ des jeunes diplômés légitiment certainement une forme d’inquiétude, car elles en disent long sur la faible attractivité de la France pour les jeunes. Mais quel est donc ce rêve français que vous avez envie de leur vendre pour les faire rester ? Quel est ce rêve français qui devrait convaincre, même inconsciemment, les jeunes de rester ici, au-delà du fait que les opportunités sont meilleures à l’étranger, la réussite n’est pas pointée du doigt, et qu’on a moins le sentiment d’y vivre en insécurité ? Si ce rêve français existait, les jeunes ne se poseraient pas la question et construiraient leur avenir en France, puisque que c’est là qu’ils l’auraient imaginé.

Peut-on vraiment reprocher aux diplômés de grandes écoles de vouloir gagner de plus gros salaires, particulièrement après des années de classes prépa exténuantes, et au total au moins cinq années d’étude à vivre au crochet de leurs parents, de la société, ou grâce à des prêts ou petits boulots divers ? Peut-on leur reprocher de valoriser des opportunités concrètes alors qu’en France on les force à faire 18 mois de stage, au contenu souvent peu formateur, sous-payés, et dans lesquels il est parfaitement légal de ne donner aucun congé au stagiaire pendant toute la durée du stage ? Peut-on leur reprocher de préférer des employeurs à l’étranger qui recrutent des diplômés aux profils divers et qui considèrent la formation comme partie intégrante de leur mission, au lieu des employeurs français qui veulent que leurs candidats soient jeunes pour les payer moins chers, mais bourrés d’expériences pour qu’ils soient « opérationnels tout de suite », et ce pour les prendre en stage de fin d’étude, puis en CDD, puis en période d’essai… Peut-on leur reprocher de ne pas créer leurs start-ups en France alors que l’on connaît la lourdeur sans égal de l’administration française et la quasi-impossibilité pour un jeune sans expérience d’obtenir des financements bancaires ? Peut-on leur reprocher de préférer une autre culture du travail que la culture française, très hiérarchique et peu axée sur la responsabilité ? Peut-on tout simplement leur reprocher d’avoir trouvé, hors de France, l’endroit où ils ont envie de vivre, avec ou sans intention de revenir ?

Madame la Ministre, je conclurai cette lettre en vous encourageant à la prudence, celle qui consiste à ne pas se tromper d’adversaire. Les Français de l’étranger ne sont pas tous des exilés fiscaux, et ne sont pas les responsables de l’état précaire dans lequel se trouve la France actuellement. N’écoutez pas ces démons qui vous poussent à aller chercher de nouvelles personnes à pointer du doigt en espérant que l’orage passe de lui-même. Car il ne passera pas si vous ne décidez pas de mettre en oeuvre un projet national reposant sur les vraies forces vives de la France, et dont les Français de l’étranger font partie. N’oubliez pas, nous sommes aussi la France, et nous n’avons aucune leçon de patriotisme ou de sens du devoir à recevoir de qui que ce soit. Au lieu de passer des appels aux Français de l’étranger pour qu’ils reviennent, attelez-vous plutôt à faire en sorte qu’ils en aient envie.

Bien respectueusement,

Cambronne



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