27 avril 2012

Les marchés gouvernent-ils la France ?


Les marchés. Les méchants marchés. Non pas LE marché, mais bien LES marchés, tels une horde de barbares mystérieux, invisibles mais près à nous submerger de leur nombre et de leur haine qui ne demande qu’à nous détruire. Cela fait plusieurs années que les marchés sont personnifiés : les marchés ont un tempérament, tantôt calmes, tantôt nerveux, mais aussi des sentiments, tantôt déprimés, tantôt euphoriques. Certains lui vouent un culte : les marchés pensent, les marchés disent (et si les marchés pensent et disent que…) ; d’autres les haïssent, dénonçant « la dictature des marchés », incarnation la plus emblématique de cet « ennemi sans visage blabla ». Et il y a ceux qui, comme moi, restent cois. 

Qui sont ces marchés qu’on accuse de vouloir nous gouverner à la place de nos institutions ? Qui sont donc ces marchés que l’on dit en ordre de marche, près à attaquer la France à tout moment ? Car il paraît que les marchés prévoient d’attaquer la France le matin du 7 mai, au lendemain de l’élection présidentielle, surtout si François Hollande est élu. Ils ont déjà frémis ce matin du 23 avril au regard des résultats du premier tour, et cela s’est manifesté par un petit mouvement à la hausse du taux d’intérêt de la dette française. La vaguelette qui annonce le tsunami ?

Ce qu’on appelle les marchés n’est rien d’autres qu’un ensemble d’investisseurs : banques, assurances (par le biais de leur entité de gestion d’actif), fonds divers (fonds de pension, fonds souverains, fonds spéculatifs, fonds mutuels etc.), mais aussi grandes entreprises, et même particuliers. Bref tous ceux qui détiennent l’argent et l’investissent sur les différents marchés, généralement pour le compte de leurs clients (nous par exemple). Le marché d’une dette souveraine telle que celle de la France est grand et très liquide (= n’importe qui vient sur ce marché pour y acheter ou vendre des titres pourra globalement y arriver quand il veut), on peut donc légitimement supposer qu’il rassemble la plupart des catégories d’investisseurs, et ce à travers le monde. Or ils sont tous un peu paniqués depuis qu’ils ont vu de leurs propres yeux que la faillite des Etats européens était une réalité, et que ce qu’ils ont cru pendant longtemps être le fameux « taux sans risque » n’en est en fait pas un. Ce qu’on fait passer pour un complot fomenté par les marchés destiné à mettre à genoux les Etats est en réalité davantage un ensemble de comportements moutonniers d’investisseurs paniqués. Populisme quand tu nous tiens.

Personne ne tient les rênes des marchés. Il existe certainement des investisseurs moins scrupuleux que les autres, mais l’idée qui consiste à faire croire qu’une clique de personnes décide de ce qui se fait sur les marchés dans le but de gouverner à la place des Etats est naturellement une illusion. Les bouc-émissaires, quels qu’ils soient, y compris quand ils sont banquiers, sont rarement, la vraie et unique source de tous les maux. Ce manichéisme est d’autant plus malhonnête que l’importance des marchés de capitaux dans le financement de l’économie et de la dette souveraine est le résultat des politiques de droite comme de gauche depuis trente ans destinées à trouver de nouvelles sources de croissance. L’essor des marchés de capitaux a commencé dans les années 1980, et a grosso modo permis aux investisseurs du monde entier de pouvoir subvenir aux besoins en financement de tous les acteurs économiques à travers le monde. Cela a permis aux grandes entreprises de ne plus dépendre uniquement de leur banque pour financer leurs investissements ; et cela a permis aux Etats de trouver de nouveaux investisseurs prêts à porter leur dette, alors que les deux leviers existant jusqu’à présent étaient le recours à l’épargne nationale (ce qui peut décourager l’investissement privé) et à la planche à billets (génératrice d’inflation). Le développement des marchés financiers a donc été une aubaine pour tout le monde, permettant aux agents économiques de trouver des financements et aux investisseurs d’accroître la diversification de leurs portefeuilles et d’aller chercher les actifs de qualité là où ils se trouvent. Dans un monde où les Trente Glorieuses ont été brutalement interrompues par les deux chocs pétroliers, l’internationalisation croissante des marchés financiers, permise par les nouvelles technologies informatiques, a engendré une nouvelle ère de croissance.

Tout le monde s’est un peu perdu dans cette euphorie générale, où les investisseurs ont arrosé les Etats de liquidités en surestimant la dimension « risk-free » de ces actifs, et où les Etats ont oublié que l’endettement implique contractuellement un remboursement. Et à l’euphorie succède la gueule de bois, la crise de la dette souveraine est la manifestation de ce réveil difficile des Etats qui ont tiré sur la corde de la dette pour limiter la récession de 2008-2009, et des investisseurs devenus subitement plus pointilleux sur la qualité de crédit des émetteurs de dette. La situation actuelle, n’a donc, au fond, rien d’aberrant : il est tout à fait normal qu’un prêteur analyse de près la situation de l’emprunteur avant de lui prêter. Ce qui m’étonne le plus c’est que cela n’a pas été fait plus tôt, alors que tout le monde savait très bien que les dettes publiques servaient à financer le déficit structurel des budgets nationaux, et donc des Etats à terme insolvables. Bref, reculer pour mieux sauter. Et, dans le cas de l’Europe, les Etats sont d’autant plus insolvables qu’ils ont renoncé à utiliser la planche à billets et disposent donc uniquement de leur politique fiscale comme levier d’ajustement.

Pour des raisons purement financières, il serait donc tout à fait normal que les investisseurs irresponsables paient les pots cassés. Ils ont prêté à des agents insolvables et doivent donc assumer les risques de leurs investissements. Comme il est tout à fait normal que dorénavant, ceux-ci rechignent à continuer à gaver des Etats irresponsables. D’où la nécessité, si ce n’est de l’austérité, de maîtriser les dépenses publiques. Cette convergence générale vers des comportements responsables est certainement une chance pour tous, même si les ajustements risquent d’être douloureux à court terme. Mais qu’est ce que l’intérêt général, sinon l’intérêt individuel de tous à long terme ? C’est cet intérêt général que les Etats sont censés préserver, à la différence des gérants de portefeuille qui ne doivent se préoccuper que des intérêts de leurs clients (en théorie). Les gouvernements sont donc les premiers à blâmer dans cette situation.

Gardons à l’esprit que très peu d’investisseurs ont intérêt à ce que la dette française se déprécie, bien au contraire. Presque tous ont intérêt à ce que la France retrouve sa marge de manœuvre financière, dès lors elle continuera à emprunter à taux bas. Mais perpétuer cette tradition de gabegie d’Etat ferait perdre bien plus à la France qu’aux « marchés ». Tout d’abord parce que derrière plus de 30% de la dette française, il y a toujours l’épargne des Français – un défaut les pénaliserait ; ensuite parce que le seul moyen de « s’en sortir » serait de revenir à la monnaie nationale et à l’inflation – ce qui, pour un pays à fort taux d’épargne comme la France, est destructeur ; notre crédibilité internationale, dans tous les domaines, serait fortement endommagée, car un pays qui ne paie pas ses dettes n’est pas considéré comme un pays puissant et digne de confiance ; nos entreprises seraient moins compétitives car le coût du capital serait renchéri du fait de sa corrélation avec le taux d’intérêt de l’Etat ; enfin, l’attractivité de la France en serait durablement affectée.
 
Retrouver son indépendance est une intention louable, mais si l’on croit que la retrouver se limite à émettre la monnaie dont nous avons besoin (pour financer un système social structurellement en déficit), nous nous dirigeons vers de graves désillusions. Les marchés ne gouvernent que là où les Etats se sont fourvoyés.

21 avril 2012

François, protège-moi!


Il existe de nombreuses façons de se protéger, qui nous ont souvent été enseignées par nos amis les animaux. Des réflexes simples, plus ou moins ingénieux et au taux de succès variable – le risque zéro n’existe pas : se cacher, se terrer, bluffer, effrayer, menacer, se camoufler, vivre en meute, développer des outils de protection, etc. L’objectif ultime de la protection est de limiter le risque qu’un danger existant affecte négativement le cours de notre existence (au sens large). Le but est donc tout d’abord d’identifier les dangers qui nous font courir un risque, puis de trouver la protection appropriée à ce type de danger. Prenons le cas d’une très forte tempête qui fait rage au dehors, faisant planer un risque d’écroulement de ma maison. Si je sors mon pistolet pour me protéger de cette tempête, je risque d’avoir des désillusions (je précise juste que je n’ai pas de pistolet, ça n’est qu’une hypothèse). Par contre, si je me réfugie dans ma cave avec des provisions, il y a des chances que ce soit plus efficace. Ou si, de nature inquiète, j’ai anticipé la tempête en renforçant les fondations de ma maison et barricadant les fenêtres, c’est encore mieux. Une protection est efficace lorsqu’elle réduit le plus possible l’exposition au risque évalué (on ne parlera pas ici de la notion de rendement qui accompagne souvent celle de risque afin de ne pas compliquer les choses).

A l’échelle de la communauté, et plus précisément de la nation, ce raisonnement marche aussi. L’Etat ne doit sa raison d’être qu’à la volonté générale du groupe d’individus décidant d’abandonner leur liberté naturelle à une institution supérieure, qui en échange garantira leur sécurité, condition sine qua non à l’établissement de la liberté civile[i]. C’est le contrat social, qui permet à l’homme de sortir de son état de nature : l’Etat-protecteur est l’essence même de l’Etat (désolé pour ceux qui pensent que le premier rôle de l’Etat est de conduire des trains). Concrètement, qu’est-ce que cela veut dire ? Qu’il n’y a rien de plus normal, la veille de l’élection présidentielle d’attendre du prochain président qu’il protège ses concitoyens face à tous les dangers qui les menacent. Cette attente est tout à fait légitime : l’Etat détient la compétence de la compétence (décide de qui est de son ressort ou pas) et le monopole de la violence légitime.

Les Français sont d’autant plus attachés à l’Etat-protecteur qu’ils sont toujours restés réticents à mettre leur destin entre les mains du marché. Le Français voit dans le système libéral la menace qu’exerce une concurrence exacerbée sur l’ordre social d’une société de tradition rurale, tandis que l’Anglais trouve son salut dans l’échange – après tout on a moins de chances de se battre si on est des partenaires commerciaux. Pour l’Anglo-saxon (et surtout l’Américain), l’Etat est d’autant plus protecteur que son action se limite à ses fonctions régaliennes. Son intrusion est une menace sur les libertés individuelles et un détournement de ses fonctions premières, à savoir préserver la sécurité du peuple et assurer la justice. Je me souviens de cet Américain qui parlait du droit de détenir des armes à feu. Pour lui, c’est une nécessité de se protéger au cas où l’action de l’Etat fédéral vienne un jour empiéter sur les libertés individuelles. Pour le Français, attaché à l’égalité, le degré protecteur de l’Etat est une fonction croissante de son rayon d’action : plus il en fait, mieux c’est. Certains y verront peut-être l’effet de l’héritage marxiste et socialiste, il n’empêche que c’est un réflexe pavlovien à la Française de se tourner vers l’Etat quand on a un problème, et d’en appeler, face à la compétition internationale, au protectionnisme. Différence culturelle fondée sur des histoires différentes ? Ces deux visions sont, à leur manière, empreintes de bon sens : souvenez-vous, quand vous étiez gamins, du costaud de la cour de récré ; vous sentiez-vous en sécurité ou en danger en sa compagnie ?

Si on suppose que la France n’a plus grand-chose à craindre de l’Allemagne et que l’Etat remplit globalement ses missions régaliennes, on peut plus ou moins limiter le champ des menaces aux domaines économiques, sociaux (je vous prie de bien vouloir m’excuser d’évacuer pour le moment la question environnementale), qui eux-mêmes se rejoignent autour du thème du système économique mondialisé. Le meilleur moyen de se protéger est-il d’accepter les règles du jeu de la compétition mondiale ou de s’en isoler ? Peut-on assurer l’efficacité économique et la viabilité du système social par le protectionnisme ? La position de la France (5è puissance mondiale, tout de même) est, depuis trente ans, très ambivalente sur ces questions, mais la crise actuelle semble la mettre au pied du mur et précipiter le moment des choix stratégiques quant à son avenir.

Difficile de répondre à ces questions sans courir le risque d’être catalogué, celles-ci étant fortement teintées d’idéologie et la prétention de ce blog étant moins d’y apporter des réponses qu’un regard neuf et indépendant. Néanmoins, je reste persuadé qu’il est illusoire d’attendre de l’Etat qu’il mette des barrières efficaces dans un système économique mondialisé. Pourquoi ? Parce que prospérité économique implique échange, et échange implique ouverture. Et aussi parce que dans n’importe quel système anarchique, non régi par des lois, il n’est pas de barrière infaillible. A l’instar du monde sauvage, les relations internationales sont un système anarchique, où l’Etat ne dicte pas les règles, mais est inévitablement en concurrence. C’est une FA-TA-LI-TE. Et c’est, selon moi, cette fatalité qui devrait inciter les gouvernants à rendre le pays plus fort, car cela reste le meilleur moyen de protéger l’ordre social dans un système international anarchique et mondialisé. Il est illusoire de penser que le monde a besoin de la France pour avancer, et que celle-ci sera écoutée, respectée, indépendante, et prospère si elle renonce aux vecteurs de sa puissance. Et c’est pourquoi, à mon sens, protéger les Français passe davantage par la compétitivité et l’assainissement des finances publiques que par la sortie de l’Euro et le protectionnisme. Avouez, le destin de lion fait quand même plus rêver que celui de gnou…

(… jusqu’au jour où le ciel nous tombe sur la tête, mais là on n’y pourra pas grand-chose)

PS : désolé pour le titre un peu racoleur :)



[i] C’est la naissance des théories de l’Etat - Hobbes, Locke, Rousseau etc.

17 avril 2012

Où sont passés les libéraux ?


S’il y a un inconvénient à être expatrié, il prend tout son sens pendant la campagne présidentielle : on se sent un peu a l’écart de l’émulation générée par cet événement républicain majeur où les Français choisissent leur Président. Bien que le niveau intellectuel très médiocre de la campagne en cours me console quelque peu de cet éloignement, tout de même, il reste un petit vide.

C’est pour retrouver un peu de cette effervescence que j’ai donc décidé, avec le concours du progrès technique qui permet maintenant de suivre en direct sur internet depuis l’étranger les émissions politiques en direct le temps de la campagne (heureusement parce que pour Masterchef, ce n’est pas possible), de regarder Mots Croisés ce lundi soir. A six jours du premier tour, les dix candidats étaient représentés, soit par eux-mêmes (pour le club des 2% d’intentions de vote et moins), soit par un de leurs porte-paroles/directeur de campagne (pour les autres), et leur temps de parole chronométré, le tout orchestré par un intraitable Yves Calvi, qui a appris à couper la parole depuis C dans l’air. Je suis sévère, il n’a pas été (trop) mauvais ce soir.

En réalité, l’émission confinait davantage à l’exercice de style qu’à un réel débat politique, car débattre à dix sur plusieurs sujets avec en tout et pour tout à peine douze minutes de parole chacun, cela revient un peu à faire une partie de tennis à dix sur le terrain. Et alors que mon esprit tendait à percevoir l’émission davantage comme un divertissement qu’un débat politique, j’ai soudainement été frappé par une chose : globalement la variété des opinions était représentée dans la discussion, à l’exception d’une, et pas des moindres, le libéralisme. J’ai pourtant eu un grand espoir à un moment, non sans surprise, en écoutant Nathalie Arthaud casser le consensus général autour du protectionnisme en affirmant – à raison, agrégée d’économie quand même – qu’une telle politique appauvrit les consommateurs. Espoir néanmoins rapidement évaporé lorsqu’elle a déclaré lui préférer la destruction du système capitaliste.

Oui il manquait un libéral, un vrai, tel celui qui ose défendre, de toute la force et de la naïveté de sa conviction profonde, que la destruction créatrice Schumpeterienne devrait rassurer les ouvriers qui perdent leur emploi, que le dumping social chinois n’est pas un problème – ils ne font que profiter de leur avantage comparatif, et que la crise actuelle est due à un déficit de libéralisme, et non à son excès ! Là le débat aurait été réellement démocratique ! Quand on y pense, l’absence d’un candidat libéral dans cette campagne est un phénomène vraiment étonnant. Non seulement il est surprenant qu’il ne s’en trouve aucun pour défendre le système en place (qui est un système libéral après tout), mais cela l’est d’autant plus qu’il s’en trouve en face plusieurs à prôner sa destruction. Regardez, il y a au moins 2,75 équivalent-candidats antilibéraux [1 x (Arthaud + Poutou) + 0,5 x Mélenchon + 0,25 x Joly], et encore en étant conservateur sur les pondérations. Les deux premiers disent d’ailleurs exactement la même chose, ce qui fait in fine un sacré écho. L’antilibéralisme semble même avoir gagné tous les partis. Le banquier et les actionnaires sont les ennemis bien au-delà les frontières de l’extrême gauche et tous les candidats sans exception se plaisent à vanter l’Etat protecteur face à la tyrannie des banques et des marchés.

Le dernier vrai candidat libéral à l’élection présidentielle française était Alain Madelin en 2002, personne n’a pris la relève depuis. Les idées persistent au sein de groupes politiques divers et associations, mais aucune figure n’a pour le moment réussi à émerger afin de défendre la vision libérale et de tenter de montrer que la crise du modèle ne signifie pas pour autant la fin de celui-ci. Si je ne suis pas moi-même, à proprement parler, un défenseur de l’orthodoxie libérale, je dois avouer avoir un petit pincement au cœur à ne voir personne incarner la voix du libéralisme.

Il ne faut pas oublier que le libéralisme est né d’une foi profonde dans la capacité de l’homme à être l’artisan de son propre progrès, non parce qu’il se bat mais parce qu’il échange. L’homme est intrinsèquement bon et aspire à la liberté, d’après les libéraux, et dans la recherche de son propre bien-être, il substitue l’échange économique au rapport de force physique, dans l’intérêt de tous. Le libéralisme ne s’arrête d’ailleurs pas à l’économie et a investi le champ de la politique : il n’est pas étranger aux principes fondamentaux sur lesquels sont bâtis les Etats de droit et les démocraties modernes. Il sert aussi de fondement à plusieurs courants des relations internationales, et notamment celui qui a créé le principe de sécurité collective – auquel même les partis les plus à gauche sont attachés. Cette dimension politique du libéralisme est d’ailleurs souvent oubliée en France, alors qu’outre-manche et ou outre-atlantique, le qualificatif liberal a une connotation clairement de gauche, en opposition à conservative, résolument de droite.

L’amour de la liberté n’est au fond ni de gauche, ni de droite, et la logique voudrait que cet amour transcende les partis dans une élection aussi importante que celle qui a lieu dimanche. Après tout, notre liberté ne s’arrête que là où commence celle des autres. L’homme aspirerait donc naturellement au libéralisme, puisqu’il ne peut fonder son bonheur et son bien-être sur autre chose que la liberté. Mais l’absence de libéral assumé et la haine du libéralisme affichée dans cette campagne sont en réalité moins dues au refus de liberté qu’à la haine des dérives d’un système aux principes souillés par la cupidité et l’immoralité de quelques uns, diffusant tout autant la pauvreté pour un grand nombre que la richesse pour une minorité. Le candidat libéral absent concentre ce ressentiment général contre ce système plein de promesses mais générateur de déceptions et frustrations, si beau dans les livres mais si injuste en apparence.

On serait tenté de croire que l’absence d’un candidat résolument libéral marque le début de la fin du libéralisme. Mais je suis, personnellement, convaincu du contraire : ce candidat est bel et bien présent, et il l’est d’autant plus qu’il n’est pas assimilé à un visage. Il est en réalité caché au milieu de tous les autres ; dans Sarkozy et Hollande dont les partis ont contribué à consolider depuis plus de trente ans le système libéral actuel ; dans Bayrou, qui a une vision du produire français par la compétitivité et non le protectionnisme ; dans Arthaud, qui refuse aussi le protectionnisme (je plaisante) ; dans Dupont-Aignan, Le Pen et Mélenchon, peu avares de compliments et d’admiration envers les petits entrepreneurs, sources d’innovation et créateurs d’emploi ; dans Cheminade, défenseur du Nucléaire etc. Et puis, rappelez-vous que la France était censée élire DSK. Au milieu des relents populistes et protectionnistes, la plupart des candidats sont et restent, inconsciemment peut-être, les candidats d’un système dont ils ont assimilé et parfaitement accepté les principes. Ils sont la nième génération de politiciens qui font la pêche aux voix avec un discours contre le système, mais qui s’aligneront avec lui une fois élus.

Certes Louis XVI est le roi qui a tué la monarchie en France ; certes des élections ont déjà amené des dictateurs ; mais ce serait nier les ressorts de notre système libéral – notamment dans notre inconscient individuel et collectif – de croire qu’il assiste, de manière impuissante, à l’avènement inéluctable de celui qui va le bouleverser. En effet, celui-là devra d’abord assumer, devant l’opinion, la dégradation probable de notre appareil économique, créateur de richesses, ce qui est durablement impossible. C’est l’un des grands paradoxes de la France d’être l’un des derniers pays communistes du monde où le libéralisme a encore de beaux jours devant lui.

Bref, libéraux, vous pouvez dormir tranquille, même pas besoin de candidat.

14 avril 2012

« Les sondages m’ont tuer », signé : l’élection


La question des sondages fait partie de ces thèmes si singuliers qui ont cette capacité incroyable à revenir sur le devant de la scène à chaque échéance électorale, et à quitter cette même scène médiatique sans avoir engendré la moindre réforme ou le moindre changement au sein du système. Les sondages, c’est un peu comme les criminels qui se retrouvent inexplicablement libres : on sait qu’ils sont nuisibles, qu’ils devraient certainement être encadrés, mais ça n’est pas le cas. Pourtant, la question mérite réellement d’être posée : les sondages faussent-ils les élections ?

Dans un monde où l’on qualifie de démocratie n’importe quel système où il y a une élection libre, l’élection est l’instrument démocratique le plus précieux, le mieux à même de transformer la volonté du peuple sous forme de pouvoir. Une multitude d’associations et d’organisations nationales et transnationales, traquent toutes les formes d’irrégularités lors d’élections diverses et variées, mais aucune ne fait preuve du même activisme forcené pour faire de la question des sondages un vrai débat de société.

Le constat initial est simple : les sondages ne sont pas que des indicateurs de l’état de la campagne. Au contraire, ils sont, comme diraient les Anglo-saxons, un « input », c'est-à-dire un des multiples paramètres pris en compte par les preneurs de décisions divers pour faire leur choix, l’ « output ». Le terme de « baromètre », souvent employé par les médias pour parler des sondages, est une énorme imposture, dans la mesure où le baromètre n’influe pas sur le temps qu’il fait. Les sondages sont des simulations d’élection élaborées à partir de méthodes plus ou moins obscures et censées donner le résultat de l’élection au cas où celle-ci aurait lieu à l’instant t.

Cela déroule le tapis rouge à une campagne qui n’est pas proactive, où les candidats vont vendre leurs idées aux citoyens, mais réactive, où ces mêmes candidats calibrent leurs choix stratégiques à l’instant t+1 en fonction des résultats du sondage paru en t. Il en est de même pour les votants, qui intègrent un calcul supplémentaire dans leur processus de décision de vote consistant à pondérer leurs choix potentiels par des probabilités issues directement des sondages. Il y a fort à parier que la conséquence de ces deux effets sur le résultat de l’élection ne soit pas négligeable. Ce mécanisme renvoie à celui de la théorie des jeux, où la prise de décision des agents n’est pas le résultat d’un processus indépendant, mais d’un raisonnement systémique, prenant en considération les comportements possibles des autres acteurs du système. Je ne suis pas un spécialiste du sujet, mais vous aurez compris où je veux en venir. Les sondages consacrent la transformation de l’élection démocratique en un vaste calcul, où l’élection n’est plus le moyen par lequel un candidat est choisi par les citoyens, mais une forme de jeu où le vainqueur est celui qui a simplement gagné le plus de voix. L’essence de la politique est de faire des choix, il y a donc un effacement du politique quand les sondages substituent le calcul à ces choix.

L’avènement de Ségolène Royal en 2007 en tant que candidate du Parti Socialiste à l’élection présidentielle suscite de nombreuses questions, étant donné qu’elle n’incarnait à ce moment aucune tendance ou mouvance au sein de son parti, n’occupait pas de fonction particulière qui lui aurait permis d’émerger en tant que représentante plus compétente ou capable qu’un ancien Premier Ministre (L. Fabius) ou qu’un éminent économiste ancien Ministre de l’Economie et des Finances (D. Strauss-Kahn). Le seul paramètre qui la démarquait de ses concurrents était qu’elle apparaissait dans les sondages comme celle ayant le plus de chances de battre N. Sarkozy au second tour d’une élection qui était encore lointaine. Qui aurait été le candidat socialiste à l’élection présidentielle de 2007 dans un monde sans sondages ? Que se serait-il passé par la suite ?

Autre exemple, la vacuité intersidérale de la campagne actuelle où le débat sur la vision des candidats pour la France est totalement absent. La vision, le projet à long terme, tout ça n’a rien de concret. Le concret, c’est chez qui on va chercher les voix. Chez Mélenchon ? Allez hop, un petit coup de « mon ennemi c’est le monde de la finance » ? Chez Le Pen ? Un peu d’immigration… La campagne est rythmée par les sondages, les hausses, les baisses, les tendances, les renversements de tendance etc., ce qui étouffe le débat politique, la confrontation des projets étant donné que tout est analysé à l’aune de l’effet recherché dans les sondages. Ceux-ci imposent une grille de lecture électoraliste de la politique et poussent les candidats à adopter la même (im)posture. Et en plus, ils se plantent tout le temps...

Je ne sais pas à quelle conclusion est arrivée l’armée de sociologues du CNRS ou de l’EHESS payés par le contribuable pour réfléchir à ce genre de questions, mais ce qui inquiète le citoyen lambda que je suis n’est pas tant l’existence même des sondages que la place qui leur a été donnée par les médias. Les sondages ont été érigés en « système » par des médias qui y voyaient là le moyen de pouvoir faire rentrer la politique dans le moule de leur spectacle. Grâce au « système sondage », on peut découper les thèmes, isoler les idées et les sujets, catégoriser les votants, adapter l’analyse politique au format du véhicule d’information, et non l’inverse. C’est le privilège de détenir le soi-disant pouvoir de dire « les Français pensent que… ».

Les directeurs d’instituts de sondages sont devenus les commentateurs attitrés de la vie politique. Le XXè Siècle était le siècle des Intellectuels, ceux qui se levaient et montaient à la Tribune pour parler non pas au nom du Peuple, mais pour le Peuple. Les instituts de sondages se sont aujourd’hui substitués aux Intellectuels en tant que représentants et communicants des aspirations profondes des Français. Ce sont eux qui détiennent la clé de compréhension de l’opinion publique et deviennent par là les intermédiaires obligés entre les Français et des politiciens qui cherchent à les séduire. La place grandissante des sondages est un symptôme supplémentaire de la crise politique en gestation, qui n’attend plus qu’une occasion pour éclater. L'élection se meurt, piégée dans l’étau de la technocratie et du marketing électoral, mais a eu le temps de laisser ce mot : « les sondages m’ont tuer »…

1 avril 2012

« France in Denial » : The Economist a-t-il raison ?

L’attaque n’est pas sans rappeler celle des colonnes de bateaux de l’Amiral Nelson à Trafalgar, ou les assauts des troupes de Wellington sur les derniers carrés français à Waterloo. The Economist a tiré à boulets rouges cette semaine sur la France, plus précisément sur les candidats à la présidentielle, incapables à ses yeux d’aborder les vrais sujets que sont la compétitivité économique, le déficit et la dette publique.

Dans deux articles où l’on sent poindre par moment une once de sarcasme, l’hebdomadaire fait surtout part de son inquiétude sincère quant à la capacité de la France à faire face à ses défis économiques, et ce dans un futur proche, sous peine de devenir la source de la prochaine crise en zone euro. L’éditorial, d’abord, pointe du doigt l’incapacité de la France à se réformer alors que tous les autres pays en difficulté de la zone euro tels que la Grèce, l’Espagne ou l’Italie ont su adopter une cure d’austérité. La situation économique de la France est, d’après le journal, quasi désespérée, et aucun des candidats favoris n’y apporterait de solutions satisfaisantes, préférant mettre en avant les thèmes inappropriés que sont le protectionnisme, la répression des évadés fiscaux, l’hostilité à l’immigration et la viande hallal. Rappelant ensuite la défiance des Français pour les marchés financiers et la mondialisation, l’article se termine en s’interrogeant sur le degré de sincérité des candidats.

Le deuxième article est une version plus détaillée du premier. Y est abordée l’incapacité de la France à financer son système social et à payer sa pléthore de fonctionnaires, ainsi que son manque de compétitivité, la fuite en avant des impôts etc. Y est aussi pointée du doigt la contradiction propre aux Français de profiter d’un niveau de richesse qui a été largement permis par les performances de ses entreprises leaders de l’industrie et des services, tout en condamnant le système qui leur a permis d’émerger, celui des marchés financiers, des banques, des spéculateurs et des agences de notations. Autre fait surprenant pour les observateurs d’outre-Manche, le fait que les débats économiques soient plus centrés sur la redistribution que sur la création des richesses, surtout à gauche. La conclusion est la même que celle de l’éditorial, à savoir une interrogation sur le degré de bluff ou de sincérité des candidats, qui ne semblent malheureusement pas préparés au choc de la réalité qui attend celui qui sera élu.

Voilà en substance pourquoi la France serait en plein « déni » et que la campagne serait « frivole ».

Malgré plusieurs constats très vrais, il convient tout d’abord de nuancer légèrement ce tableau. Les fondamentaux économiques de la France ne sont pas catastrophiques à la lumière des crises qui viennent d’être traversées. La comparaison avec l’Allemagne est certes désavantageuse, mais l’objectivité consisterait à reconnaître que la France dispose d’atouts certains : sa démographie, son niveau d’épargne, l’endettement limité des ménages, l’existence de leaders mondiaux dans tous les secteurs de l’industrie et des services, son niveau de productivité etc. The Economist évoque très rapidement quelques-uns de ces points, mais ils ne sont pas négligeables. Ils le sont d’autant moins en comparaison à une Allemagne vieillissante et un Royaume-Uni aux ménages et aux entreprises fortement endettés. De ce point de vue, la France n’est qu’à quelques réformes structurelles d’être un pays fortement compétitif.

Si nous poursuivons la comparaison avec le Royaume-Uni, nous pouvons quelque peu nous étonner de la réalité décrite par ceux qui aiment s’ériger en donneurs de leçons vis-à-vis des « froggys » quand ils voient chez lui une remise en question de l’orthodoxie libérale. En effet, si le Royaume-Uni paraît en meilleure posture que la France, c’est parce que 1) le gouvernement est protégé par la Bank of England qui n’hésite pas à imprimer des billets à tour de bras pour se positionner en acheteur ultime de la dette souveraine 2) les banques anglaises ont été relativement tenues à l’écart de la crise de la zone euro. Elles ont certes subi quelques dommages par répercussion, mais leur exposition aux pays périphériques – à l’exception de l’Irlande – était sans commune mesure avec celle des banques française à ses même pays. Mais si la dette de la France a été dégradée par une agence de notation, celle du Royaume-Uni est actuellement en perspective négative chez l’une d’entre elles. Le niveau de la dette du gouvernement français est supérieur à celui du gouvernement britannique (un peu au-dessus de 80% du PIB vs. Un peu en dessous), mais sa dette extérieure, prenant en compte l’endettement global des agents économiques (publics et privés) vis-à-vis de l’étranger, est presque deux fois inférieure à celle du Royaume-Uni, ce qui laisse plus de marge de manœuvre financière aux agents économiques. Le déficit public de la France est aussi largement inférieur (environ 2 points de pourcentage) à celui du Royaume-Uni, dont la dette augmente donc systématiquement plus vite, et les mesures d’austérité du gouvernement de David Cameron, souvent présentées comme un modèle de pragmatisme par The Economist, sont encore loin d’avoir eu les résultats escomptés.

Le Royaume-Uni a sans aucun doute de nombreux atouts, notamment en ce qui concerne la compétitivité et l’attractivité de sa place financière, mais il ne donnerait pas cette impression de « safe haven » si sa banque centrale ne venait pas calmer les marchés à coup de Quantitative Easing, qui n’est d’ailleurs en réalité qu’une bombe inflationniste à retardement.

Néanmoins, nos amis tapent juste lorsqu’ils s’étonnent des thèmes abordés au cours de la campagne présidentielle. En effet, plus d’énergie y est dépensée à démontrer que les salaires seront limités et les évadés fiscaux pénalisés qu’à débattre des réformes nécessaires pour améliorer la compétitivité de la France. Les Français sont sensibles à la morale et à l’égalité, et n’ont pas la même foi dans le système libéral que les Britanniques, même s’ils s’en sont toujours parfaitement accommodés. Ils n’acceptent pas l’idée (à tort ?) de la « réforme nécessaire » car ils aiment à croire qu’ils sont toujours maîtres de leur destin, et que leur Etat, tout-puissant, est toujours maître du sien. L’inconscient collectif ne peut accepter que le Président ne soit là que pour mettre en œuvre l’ensemble des réformes imposées par l’UE (l’Allemagne) et le FMI car ce serait un reniement, voire une démission du politique. Les Français croient encore, naïvement encore peut-être, aux choix politiques, avec les risques que cela comporte, tels que rater le train de la reprise économique et de l’assainissement généralisé des finances publiques.

Le prochain Président sera évidemment confronté à une réalité économique qui lui laissera une marge de manœuvre limitée, et un signal montrant la bonne volonté de la France à se réformer est attendu. Toute la subtilité de la situation sera d’accomplir ces réformes sans tomber dans une autre forme de « déni », celui des attentes démocratiques. Les plans d’austérité ont été mis en place en Europe comme une condition nécessaire à l’aide européenne et afin de rassurer les investisseurs, mais ils marquent aussi l’avènement des technocrates à la tête des Etats européens. Il est encore trop tôt pour dire si ces plans seront efficaces, mais du fait de leur ampleur, ils font courir un risque politique – notamment d’insurrection populaire – immense en Europe. La question de la dette française est certes cruciale pour la France et pour la zone euro, mais elle est à prendre avec des pincettes à l’heure où les populismes se réveillent. En France, les extrêmes regroupent pour le moment presque 30% des voix dans les sondages, et les partis de gouvernements ne parviennent à transcender les clivages, pris au pièges entre un Sarkozy qui a déjà promis la prospérité économique en 2007 et a perdu toute crédibilité dans ce domaine, et un Hollande qui ratisse les voix à coup de vieux poncifs socialistes complètement désuets.

Toute explication sérieuse, sur n’importe quel sujet, qui en arrive à la conclusion du mystère, de l’inexpliqué, ou – dans ce cas – du « déni », rate son objectif et manque l’essentiel. Si The Economist a raison dans bon nombre de ses constats, son analyse est beaucoup trop superficielle car elle ramène une réalité complexe à de simples questions macroéconomiques, comme si une dose de libéralisme était la réponse magique à tous les maux. La prospérité économique est certes le moteur de notre système politique et social, mais je suis persuadé que la campagne présidentielle actuelle traduit moins le déni de réalité des Français qu’une crise beaucoup plus profonde la société française, devant laquelle politiciens de droite comme de gauche sont impuissants car ils en ont été les initiateurs au cours des trente dernières années. La crise économique, sociale, mais aussi identitaire (cette dernière étant niée farouchement par nos élites politiques, intellectuelles et médiatiques) est en train de se décliner en crise politique majeure. C’est une crise nationale généralisée, dans laquelle l’affaiblissement de l’Etat et des institutions traditionnelles de la société telles que la famille et l’école renforce ce sentiment d’insécurité des Français vis-à-vis de la mondialisation, qu’ils ne se sentent pas prêts d’affronter. La frivolité apparente de la campagne ne fait que traduire l’impuissance d’une classe politique condamnée à « faire semblant », étant donné qu’elle a déjà échoué.

C’est en refusant les particularismes et en se rassemblant autour d’un même sentiment national qui transcendera les clivages que la France retrouvera la force d’effectuer des réformes structurelles et ainsi la prospérité. La France est donc moins dans un déni de réalité que dans un déni d’elle-même, de ses forces, et surtout de son identité. La question de la dette, de la compétitivité et du déficit ne sont que l’arbre qui cache la forêt de ce blues à la Française.