26 mars 2012

Du Temps de l'action à celui des leçons


C’est dans les périodes de crise que l’on voit si une organisation ou un système est efficace. Les dix jours de mort et d’angoisse que la France vient de vivre et qui se sont terminés par la mort de Mohammed Merah en disent long sur notre système socio-politico-médiatique, voire notre société entière. Si je laisse de côté la dimension purement politicienne (les Mazerolle-Duhamel-Barbier-Aphatie-Askolovitch et leurs armées de sondeurs vous en parleront toujours bien plus que moi et avec beaucoup plus d’imagination) et les polémiques de bas étage sur l’intervention du RAID que mon manque d’expertise m’empêche de commenter avec pertinence, voilà quelques conclusions que j’ai tirées de ces dix jours de folie :

      1)      L’idéologie gangrène le débat démocratique

Jusqu’à ce que le voile se lève sur l’identité du tueur, le bal des personnes publiques surenchérissant d’indignation et de condamnations nous a laissé entrevoir la réelle inquiétude de bon nombre d’entre eux : ils auraient préféré que le tueur soit un raciste et non un fondamentaliste musulman. Si je peux comprendre qu’un réel effort doive être fait afin d’éviter que les honnêtes gens de confession musulmane subissent les conséquences des agissements d’un fou se réclamant de l’Islam, j’ai du mal à comprendre le réflexe idéologique consistant à vouloir que la réalité se colle à l’analyse idéologique préétablie.

Ce réflexe est symptomatique de cette catégorie de bien-pensants qui préfèrent entretenir des mythes, du moment qu’ils vont dans le sens de leur réalité idéologique, bien que ce soit au détriment de LA réalité. C’est ainsi que l’identité du terroriste n’était pas encore connue que l’on condamnait unanimement le racisme et mettait en cause ce climat délétère de la France où l’on pointerait du doigt l’étranger, le Noir, ou l’Arabe, ce qui pousserait in fine les racistes à commettre des actes atroces. Cette grille de lecture est dangereuse en ce qu’elle formate le débat public en le communautarisant, et l’impose comme seule grille de lecture légitime des événements. Elle met une chape de plomb sur le débat et empêche de discerner les vrais problèmes de ceux montés de toutes pièces. La politique devrait être avant tout le lieu où l’on 
trouve des solutions aux problèmes, et non l’inverse.

J’imagine la grande désillusion de certains de voir que l’identité du tueur ne collait pas à ce qu’ils avaient espéré (Nicolas Chapuis, journaliste au Nouvel Obs). C’est une forme de claque qui fait remettre les pieds sur terre et ramène à la réalité, cette réalité niée : celle que la menace islamiste existe, et que ne pas le nier n’est pas « stigmatiser » les Musulmans ; celle qu’une page facebook à la mémoire du tueur de Toulouse a été créée et a recueilli plusieurs centaines de visites en quelques heures (j’aimerais que mon blog ait un tel succès…) etc.

La responsabilité politique et médiatique ne peut consister à faire croire aux gens qu’il ne s’agit là que d’épiphénomènes, voire de mythes. Aurons-nous besoin d’autres morts pour nous le rappeler ?

      2)      Les médias ne sont pas responsables

      Les événements récents remettent aussi sur la table la question de la responsabilité, voire de la régulation, des médias. C’est une question qui se pose aussi au Royaume-Uni pour une autre raison – le piratage de téléphones – et amène à une impasse : garantir à la fois la liberté et la responsabilité de la presse est une équation quasi impossible à résoudre. Habitant moi-même à l’étranger, j’ai un accès limité aux médias français. Mais j’ai tout de même pu relever les exemples suivants qui m’ont particulièrement choqué :

      - Les dépêches contradictoires sur les sites des grands journaux : « L’assaut lancé » qui se transforme ensuite en « L’assaut lancé ? », puis « L’assaut n’a pas été lancé ». La recherche absolue du scoop amène à dire des énormités. Tant pis pour le lecteur. Il est d’ailleurs intéressant de voir que l’affaire Florence Schaal, journaliste de TF1 qui avait été licenciée de la chaîne il y a quelques années pour avoir annoncé en plein journal télévisé la mort d’un petit garçon disparu qui avait été en fait retrouvé sain et sauf, s’est terminée sur la conclusion que mentir effrontément à des millions de téléspectateurs n’est pas, pour un journaliste, une « faute grave » (source : wikipedia).

      - Les conclusions hâtives, résultat du cocktail – mortel pour l’information – du besoin de meubler et du manque de sources. Parler pour ne rien dire amène forcément à dire n’importe quoi. Ainsi, la dernière fusillade entre M. Merah et les hommes du RAID a interrompu de longues envolées journalistiques destinées à expliquer que M. Merah était probablement décédé en raison de son silence pendant la nuit.

-     - Le mépris des personnes interrogées : à la radio, dans les minutes suivant la fusillade et la mort du tueur, les journalistes ont interrogé le représentant d’un syndicat de police, espérant y glaner quelques informations précieuses sur le déroulement de l’opération. S’apercevant vite que l’homme n’en sait pas plus qu’eux, et n’ayant que faire de ses explications sur le rôle de la police et des moyens mis en œuvre dans cette affaire, ils l’interrompent donc par leur légendaire « merci » et passent à autre chose

      - Les rapports de cause à effet fallacieux, destinés plus à donner l’apparence du journaliste qu’à chercher de vraies explications aux faits. Christophe Barbier a ainsi fait preuve d’audace lorsqu’il a demandé à Marine Le Pen en direct à la télévision si le débat sur la viande hallal qu’elle avait initié pouvait être une des raisons pouvant avoir poussé le tueur à agir. S’il est dans l’essence du journalisme de « questionner », je ne pense pas que poser des questions débiles en soit une implication nécessaire.

      Le dénominateur commun de tous ces exemples est un manque cruel de professionnalisme de la part de journalistes qui ne se font pas une opinion assez haute de leur fonction. Les médias doivent considérer leurs invités, l’Information (avec un grand I), et surtout leur public avec plus de respect. Pour ma part, j’aurais tendance à penser que la création d’organismes d’observation et de contrôle indépendants est une piste intéressante pour inciter la caste médiatique à plus de professionnalisme.

      3)      La République est trop faible

Le fait que le tueur et son parcours étaient déjà connus des services de renseignement, que l’homme était déjà sous surveillance, pose des questions quant à la volonté, notamment juridique, de la République d’accomplir sa mission d’assurer la sécurité des citoyens. Cette affaire montre que nous devons nous interroger sur la République que nous voulons, et plus précisément sur là où nous voulons placer le curseur entre libertés individuelles et intérêt général.

La question du renseignement est de première importance. On ne peut pas à la fois lutter contre toutes les formes de fichage et reprocher aux services de renseignements de ne pas être remontés assez vite à M. Mehra.

La question de vouloir mettre les moyens est aussi importante : être un délinquant récidiviste, qui plus est notoirement connu pour s’être entraîné dans des camps d’entraînements terroristes au Moyen-Orient, n’est-ce pas là un bagage suffisant pour être considéré comme un danger majeur pour la société, justifiant ainsi d’imposer des mesures contraignantes dans le but de protéger la société ? Le but du renseignement n’est, au fond, que d’aider à prendre les bonnes décisions.

Il est triste, et frustrant, de penser que des morts auraient pu être évitées si la République s’était peut-être vue plus forte et plus ferme, notamment à l’égard de terroristes qui utilisent les libertés individuelles qu’elle offre pour mettre en œuvre leurs projets destructeurs.

L’opposition entre liberté individuelle et sécurité existe, mais sans sécurité, il n’y a pas de liberté possible. Dans nos sociétés marchandes où nous considérons souvent la sécurité comme acquise, nous ne devons pas oublier qu’elle est en réalité chèrement défendue au quotidien par nos soldats, gendarmes et policiers ; ces mêmes hommes tués ou blessés par ce tueur qui avait choisi, sur le territoire même de la France, de les combattre.

22 mars 2012

Gagner beaucoup d’argent, un dilemme républicain (3/3) – Le système


Trois jours, trois angles de vue sur cette question des hauts revenus qui déchaîne les passions : le mérite, la morale, le système. Un vrai casse-tête pour la République qui promeut la réussite sociale par le mérite tout en luttant contre les inégalités. Sportifs, managers d’entreprises, rentiers, ils représentent une part infime de la population mais leurs revenus suscitent de nombreuses critiques et réactions. Le temps médiatique offre des cris du cœur, des réactions indignées, sans profondeur. Je vous propose une analyse froide et  plus complète sur une vraie question de société. 

système politico-médiatique aime les coupables, les victimes, et les boucs-émissaires. Cela met le projecteur sur les individus, et oublie d’aborder la question du système – à l’exception des héritiers du marxisme certes. Par système, j’entends notre système politique et économique libéral décliné sous forme de démocratie et d’économie de marché.

L’existence de très hauts revenus dans nos sociétés renvoie avant tout au système du marché. Le travail est un bien/service comme un autre, c'est-à-dire échangé sur un marché, et le prix qui résulte de la rencontre entre l’offre et la demande détermine le niveau de salaire. Le marché du travail est une composante de l’équilibre général des prix censé traduire l’allocation optimale des ressources dans une économie où les marchés sont dits « parfaits ».

Mais le système n’est pas qu’une réalité autonome et opaque, il reflète aussi la croyance ou la foi que la société a dans le mécanisme de marché en général. Le marché est au fond le meilleur moyen, ou le moins mauvais, que nous ayons trouvé pour nous accorder dès qu’il y a échange afin de satisfaire toutes les parties d’une transaction. Pour les salaires c’est la même chose : y a-t-il un meilleur moyen de définir le salaire juste qu’un accord satisfaisant entre cette personne et celui qui a besoin d’elle ? La tension sociale actuelle liée à cette question en est à tout le moins une certaine remise en question.

Considérons d’autres solutions. L’une, avancée pendant la campagne présidentielle actuelle, consisterait à taxer quasi intégralement l’excès de salaire, c'est-à-dire ce qu’il y a au-delà de la limite « acceptable » telle qu’elle aurait été définie par le régulateur. Une autre, aussi à la mode, prévoirait la limitation légale des salaires en fonction d’un écart relatif acceptable entre le salaire minimum et maximum (on parle souvent d’un écart de 1 à 20). Puis on peut imaginer d’autres mesures plus ou moins contraignantes et pleines d’innovation pour limiter les écarts de revenus indécents, et motivées moins par la morale que par la justice, dans la mesure où elles seraient imposées par le législateur dans le but d’améliorer le bien-être social.

Ces solutions rencontrent néanmoins une limite majeure, relevant de la difficulté de définir la « limite acceptable », motivée par les convictions personnelles ou parfois idéologiques : un effet désincitatif. Une trop forte taxation, dans un environnement international compétitif, mène à une fuite des talents et du patrimoine, ainsi qu’à un manque d’attractivité qui résultent in fine en un déficit de capital financier, physique et humain pour un pays, ainsi qu’en un manque à gagner d’impôts. Le risque est grand de voir ce type de mesures détruire au final plus de bien-être social qu’elles n’en créeraient. La capacité du législateur à lutter contre les injustices liées aux niveaux de revenus est fortement limitée par cet effet désincitatif, ce qui laisse penser que nos systèmes libéraux consacrent la possibilité de gagner des salaires sans limite.

Je pense même qu’il s’agit là d’un pilier de notre système, d’une nécessité (d’un mal nécessaire ?), et ce pour deux raisons :

-     - Le système politique démocratique tient notamment sa légitimité du système économique libéral qui l’accompagne et qui permet la prospérité économique. Stabilité politique et prospérité économique sont intimement liées, regardez l’Histoire, et le moteur de cette prospérité est la croissance. Or il n’y a pas de croissance sans innovation, et pas d’innovation sans incitation. Et la première des incitations est de permettre à quelqu’un de profiter du fruit de ses idées et de son travail. Mettre des barrières légales contraignantes à la rémunération contribuerait à enrayer cette dynamique. Un système économique en déficit d’innovation est un système en crise, et cela peut aller jusqu’à menacer la stabilité politique d’un pays. Vous allez objecter que la limitation du salaire de Ribéry n’aurait aucun effet sur l’innovation et la croissance, ce en quoi vous auriez raison ; mais imaginez si une telle loi (devant laquelle nous sommes tous égaux) devait s’appliquer à tous, l’effet agrégé ne serait pas sans conséquences, et le manque à gagner en termes d’innovation est facilement identifiable bien que presque impossible à mesurer. C’est cette raison qui explique l’ « effet désincitatif ».

-       - Le système libéral, comme son nom l’indique, est fondé sur le principe de liberté, et en posant les fondements de l’égalité devant le droit, et, si possible, de l’égalité des chances, laisse à chacun la liberté de choisir son propre bonheur. La poursuite du bonheur est même un droit inaliénable explicitement formulé dans la Déclaration d’Indépendance des Etats-Unis.  Cela laisse à chacun le loisir de définir son propre bonheur, y compris si c’est un bonheur matérialiste, qui consiste à accumuler un maximum de richesses. Au fond, s’ils sont heureux comme ça, tant mieux pour eux, tant qu’ils n’ont volé cet argent à personne. La richesse n’est qu’une forme d’expression de la liberté.

Le système et ses fondements ne peuvent être négligés quant on en vient à aborder la question des très hauts revenus, et il faut prendre garde à ce que des mesures bien intentionnées ne conduisent pas à la lente implosion de notre système politico-économique. Au fond, les deux seules solutions « systémiques » sont les suivantes :

-      - Changer le système, bien que toutes les difficultés que cela comporte et les paramètres trop nombreux à prendre compte rendent une telle entreprise certainement irréalisable

-      - Utiliser le système à bon escient, en trouvant le niveau d’impôt optimal qui permette une redistribution maximale tout en limitant le plus possible les effets pervers. C’est un choix pragmatique certes, mais peu révolutionnaire. Cela peut consister aussi à lutter contre les « dérives » du système, en renforçant la transparence partout où il y a des hauts revenus en jeu.

Il ne faut pas l’oublier, les très hauts revenus, malgré leurs dimensions symbolique et médiatique importantes, ne sont au fond qu’un phénomène limité qui ne concerne que quelques milliers de personnes dans un pays qui en compte 65 millions. C’est un phénomène que nous devons accepter, tout simplement car la raison d’être de l’Etat ne lui permet pas d’agir à l’encontre du bien-être social  pris dans son ensemble. Nous devons recentrer le débat non pas sur combien d’argent est gagné mais sur ce qui est fait de cet argent, afin d’encourager ces nouveaux riches à utiliser cet argent de la manière la plus bénéfique pour la société.

Le phénomène des très hauts revenus est un réel défi pour la République, prise en étau entre les fondements de son système économique et social et la tension sociale qui résulte des inégalités. Je l’ai analysé sous le prisme du mérite, de la morale et du système, mais j’aurais très bien pu leur substituer les trois principes de notre devise Républicaine. Car si la question des hauts revenus est un combat à mort entre la Liberté et l’Egalité, la solution durable à ce dilemme républicain viendra de la Fraternité. Ce débat est sans doute l’occasion de réhabiliter cette valeur républicaine, qui, héritée de l’angélisme révolutionnaire de 89, avait été placée dans un reliquaire, à l’ombre des deux autres. C’est le moment ou jamais de la revaloriser, elle aura un rôle crucial à jouer à l’avenir dans la préservation du lien social.

20 mars 2012

Gagner beaucoup d’argent, un dilemme républicain (2/3) – La morale


Trois jours, trois angles de vue sur cette question des hauts revenus qui déchaîne les passions : le mérite, la morale, le système. Un vrai casse-tête pour la République qui promeut la réussite sociale par le mérite tout en luttant contre les inégalités. Sportifs, managers d’entreprises, rentiers, ils représentent une part infime de la population mais leurs revenus suscitent de nombreuses critiques et réactions. Le temps médiatique offre des cris du cœur, des réactions indignées, sans profondeur. Je vous propose une analyse froide et  plus complète sur une vraie question de société.

La récompense du mérite a sans aucun doute une justification morale. Mais n’est-ce pas non plus au nom de la morale que l’on pourrait légitimement définir la barrière entre la juste récompense et l’abus en matière de salaires et revenus ?

L’Egalité, principe fondateur de la République, au même titre que la Liberté, renvoie avant tout à une égalité en droit. Elle ne renvoie pas, du moins pas immédiatement, aux inégalités sociales de la société. En effet, l’égalité en droit permet l’égalité des chances, point de départ de la méritocratie républicaine.

Néanmoins, lorsque le mérite est perverti ou détourné par une dynamique de marché, le risque est grand pour la société de devenir génératrice d’inégalités sociales au-delà des limites du mérite. Il y a donc une forme d’injustice à ce que certains gagnent des revenus disproportionnés. Mais est-ce pour autant répréhensible par la morale ? Autrement dit, est-il immoral d’accepter une rémunération exorbitante ? Le préjudice moral proviendrait du fait qu’il est indécent d’accepter une rémunération disproportionnée alors que d’autres au sein de la société peinent à avoir un niveau de vie décent. La faute ne serait donc pas d’accepter une forte rémunération, mais de profiter de l’excès de rémunération.

L’argument est fort. Suivre la logique de ce raisonnement conduirait à penser que toute forme d’excès est moralement condamnable. Cette idée n’est pas étrangère à la morale chrétienne, qui encourage – particulièrement pendant la période du Carême – la modération et valorise la pauvreté afin de ne pas se détourner de son prochain, et donc du Christ.

Ce serait donc l’utilisation de cet argent qui déterminerait la moralité de la conduite individuelle. Plus précisément, je pense que l’utilisation faite de cet argent détermine rétroactivement notre jugement sur la légitimité morale à le recevoir. Je m’explique. Bill Gates a amassé, en tant que créateur, propriétaire et dirigeant de Microsoft, une fortune colossale, d’environ USD 55 mds. Cette fortune lui a permis de fonder la Fondation Gates à vocation humanitaire, qui a notamment permis de vacciner plusieurs dizaines de millions d’enfants à travers le monde. Il est incontestable que l’utilisation philanthropique de cet argent atténue le supposé préjudice moral engendré par les gains. Au contraire, l’exemple de F. Ribéry qui dépense une partie de ses EUR 800 k mensuels pour se payer les « services » de Zahia, et plus largement des footballeurs dont l’utilisation de l’argent a une utilité sociale « limitée », influence négativement notre jugement sur la légitimité morale de l’existence de leurs salaires, dépensés à des fins strictement égocentrées. La philosophie anglo-saxonne des industriels philanthropes est donc celle qui a réussi le mieux à concilier l’argent avec la morale car ceux qui ont eu la chance d’avoir gagné de grosses sommes se sont sentis investis d’un devoir de l’utiliser afin d’améliorer la vie des ouvriers et des hommes en général. En ce sens, le gain d’argent est moins une question morale que son utilisation.

La source du revenu peut aussi être analysée par le prisme de la morale. C’est l’idée qu’il serait plus immoral de gagner de l’argent à spéculer sur les dettes souveraines dans une salle de marché toute la journée qu’à soigner des gens. Y a-t-il des métiers immoraux ? Nos sociétés ont tendance à superposer illégalité et moralité (exemple des trafiquants de drogue), et à légitimer moralement toute activité légale car elle trouve sa place et son utilité sociale, bien que celle-ci soit difficile à identifier et quantifier. Néanmoins, certaines activités, bien que légales, peuvent poser un dilemme moral : fabricants de tabac, lobbying, ou même Private Equity (soyons pédants !) etc. ; gagner beaucoup d’argent dans le cadre de ses activités pourrait donc être moralement condamnable.

Si je conçois donc que l’immoralité puisse découler de l’utilisation faite de l’argent ou de la manière dont il a été gagné, je ne crois pas qu’elle puisse strictement découler du simple fait qui consiste à accepter un très haut revenu. Ceci n’est qu’une illusion d’immoralité, provenant du fait que l’argent est généralement perçu comme le droit d’accès à un niveau de vie matériel que la société consumériste a érigé en bonheur. Les riches ne seraient donc pas seulement des fortunés ayant accès à un niveau de vie supérieur, mais des privilégiés ayant accès à ce bonheur consumériste au détriment des autres. Mais en réalité, cette volonté de jouir de ce « bonheur » est moins une forme d’immoralité des premiers qu’une forme de jalousie des seconds. « L’argent ne fait pas le bonheur » disait l’autre, pourquoi donc dépenser de l’énergie à montrer du doigt ceux qui en ont au lieu de chercher et cultiver son propre bonheur ? Plus que les concernés, c’est peut-être le système qui est à incriminer, car il amène à récompenser au-delà du raisonnable des comportements et des actions sans morale.

Gagner beaucoup d’argent n’est donc pas fondamentalement immoral. C’est en réalité une chance extraordinaire d’agir moralement. La cupidité et l’individualisme dissuadent malheureusement souvent de saisir cette chance. L’impôt, au final, est l’outil rêvé pour pouvoir ponctionner de manière moralement justifiée un revenu qui n’est pas fondamentalement immoral, mais qui n’est pas fondamentalement mérité non plus. Mais jusqu’où l’Etat peut-il ou doit-il aller ?

17 mars 2012

Gagner beaucoup d’argent, un dilemme républicain (1/3) – Le mérite


Trois jours, trois angles de vue sur cette question des hauts revenus qui déchaîne les passions : le mérite, la morale, le système. Un vrai casse-tête pour la République qui promeut la réussite sociale par le mérite tout en luttant contre les inégalités. Sportifs, managers d’entreprises, rentiers, ils représentent une part infime de la population mais leurs revenus suscitent de nombreuses critiques et réactions. Le temps médiatique offre des cris du cœur, des réactions indignées, sans profondeur. Je vous propose une analyse froide et  plus complète sur une vraie question de société.


En période de campagne présidentielle, il se passe rarement une journée sans qu’un candidat n’y aille de son grain de sel sur les rémunérations des traders et des grands patrons. Chacun rivalise même de propositions plus ou moins populistes pour mettre fin au phénomène de « ceux qui gagnent trop ». Je veux parler ici des revenus que d’aucuns qualifient d’ « exorbitants », et dont la disproportion avec le niveau standard des salaires de la société peine à être justifiée. Parmi ces justifications, la notion de mérite est souvent avancée. Prenons comme unité le million. Peut-on mériter un revenu de plus d’un million par an ?

      Le mérite a une dimension morale incontestable. On mérite une récompense (ou une punition) à partir du moment où on a volontairement effectué une action qui vaut moralement cette récompense (ou cette punition), à l’aune des valeurs et des principes moraux en vigueur dans notre société. Les sources du mérite sont diverses : le travail fourni, les résultats obtenus, les responsabilités portées, les risques pris etc. Si ces principes tendent à être plus ou moins généralement acceptés, le mérite est une notion complexe qui laisse une grande place à la subjectivité et au conflit : qui mérite le plus ? Celui qui travaille plus ou celui qui obtient les meilleurs résultats ?

      La difficulté ici est qu’il y a plusieurs catégories de hauts revenus :  

     - Les managers (grands patrons etc .) bénéficient de hauts salaires et avantages financiers divers (bonus, stock options etc.), censés traduire leur mérite lié d’abord à leurs responsabilités, ensuite à leurs performances.
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     - Les traders / banquiers bénéficient essentiellement de « bonus », part variable de leur rémunération, et théoriquement liée à leur performance
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      -  Certains sportifs profitent eux aussi de grands salaires, primes diverses, et contrats d’image / sponsoring. Leur carrière est éphémère et peut être soumise à de nombreux aléas (blessures etc.), et leur rémunération est supposée liée à leurs performances, dont les deux composantes sont le talent et le travail.

      - Les rentiers (souvent des héritiers) disposent d’un patrimoine conséquent dont ils bénéficient de l’usufruit. Leur revenu est donc proportionnel au montant de leur patrimoine

      - Les entrepreneurs ont créé leur entreprise et en tirent personnellement les bénéfices.

Une autre dimension de la question est la nature de la récompense : que mérite-t-on ? A l’école, le mérite se traduit par des notes et des appréciations ; Dans l’armée, les décorations et l’avancement récompensent le mérite ; dans le système libéral qui est le nôtre, l’outil premier de récompense du mérite est la rémunération. On peut y voir d’autres types de récompenses, telles l’estime et la gratitude, ou encore les titres honorifiques etc. Néanmoins, il est logique que la rémunération soit la forme de récompense au mérite la plus largement prisée dans la mesure où elle revêt une dimension plus concrète que les autres (« tu as toute ma gratitude »…) et affecte directement et immédiatement le niveau de vie tout en donnant un sentiment de réussite sociale. C’est aussi et surtout le seul outil qui permette la comparaison.

En effet, la notion de mérite est pervertie, ou du moins brouillée par celle de marché. Si la hiérarchisation des rémunérations se justifie par le mérite, celui-ci n’explique au fond que des différences relatives. La valeur absolue des rémunérations reflète un prix de marché entre l’offre et la demande. Autrement dit, si le chef d’entreprise mérite de gagner plus que ses employés du fait de ses responsabilités, c’est le marché qui détermine s’il va gagner 2, 3 ou 4 millions par an. La notion de mérite est détournée car s’il est difficile de juger si un chef d’entreprise « mérite » 4 millions par an, il est facile de juger qu’il ne les mérite pas moins que son homologue qui les gagne. C’est ainsi que bon nombre d’entre eux justifient leurs salaires : « je ne gagne pas plus que les autres ». 

C’est cette notion de marché qui fait que la rémunération est déconnectée de la « noblesse » du métier. L’opinion commune aime à croire que ceux qui méritent de gagner le plus sont les médecins et les enseignants. La réalité est tout autre car leurs prestations sont déconnectées de la logique de marché. Je vous laisse imaginer ce qu’il en serait si ces domaines et leurs salaires étaient soumis à la libre concurrence. On peut légitimement penser que les meilleurs médecins et les meilleurs enseignants bénéficieraient de revenus qui n’auraient rien à envier à ceux des meilleurs traders. De même, s’il paraît plus légitime de gagner de l’argent de l’entreprise qu’on a créée que de la spéculation financière, le premier cas est lié à une décision difficile à prendre (créer son entreprise), comprenant de nombreux risques, tandis que le second répond à une logique de marché.

Cette dynamique de marché est très visible dans le secteur bancaire, secteur très compétitif, où tout le monde s’arrache les meilleurs traders. Le simple fait que les bonus persistent à un niveau significatif alors que les performances de l’institution et de la personne sont médiocres montre bien que des considérations étrangères au mérite sont prises en compte. La première de ces considérations est bien sûr la compétitivité du salaire afin de dissuader son trader d’aller voir ailleurs.

Il en est de même du sportif, bien que celui-ci aime rappeler qu’il ne doit son niveau qu’à ses performances, contrairement aux domaines plus « intellectuels » qui laissent plus de place aux jugements discrétionnaires sur la valeur des personnes. C’est peut-être pourquoi, entre autres, l’opinion a tendance a être moins indignée par leurs salaires que ceux des grands patrons. Le salaire d’un sportif récompense une forme de rareté objective plus ou moins liée à la performance sportive (ou plastique), mais le niveau de salaire est lui déterminé par les réalités économiques, du football par exemple. Pourquoi le « Leo Messi » du volley ball ne gagnera pas autant que celui du foot, alors qu’ils ont la même valeur « intrinsèque » ? Parce que beaucoup plus de monde regarde le football que le volley ball. Autrement dit, il y a une déconnexion entre la valeur de marché et la valeur intrinsèque du joueur, qui est difficile – voire impossible – à mesurer.

Qu’en est-il des rentiers et entrepreneurs ? Leur mérite est différent, car il provient de leur appétit au risque. Un entrepreneur prend beaucoup de risques à créer son entreprise, il sera seul bénéficiaire si son business réussit. Il ne doit en théorie son mérite qu’à lui-même. Mais s’il grandit et a lui aussi des employés, il sera confronté aux problématiques de partage équitable de la valeur. Ou alors peut-être que l’entrepreneur a pu créer son entreprise grâce à un patrimoine initial conséquent, ce qui en réduirait son mérite.

Le rentier est lui aussi rémunéré à la hauteur du niveau de risque de ses investissements, la seule différence étant qu’il n’a peut-être pas « mérité » de posséder son patrimoine initial, ce qui relance notamment le débat sur les successions.

Le mérite est donc une notion nécessaire mais clairement insuffisante pour justifier des niveaux de revenus. Si l’entrepreneur est peut-être celui qui mérite le plus de bénéficier intégralement de la valeur résiduelle de son activité dans la mesure où son revenu ne résulte pas d’un prix de marché, le mérite justifie sans aucun doute dans tous les cas des écarts de rémunération relatifs. Mais il ne nous dit rien sur le niveau absolu de ces rémunérations, qui n’est en réalité que le résultat d’un rapport de force entre l’offre et la demande.  Pour aller plus loin, nous devons donc quitter le champ du mérite et rejoindre celui, plus large, de la morale.

15 mars 2012

Suppression des devoirs scolaires : de la sorcellerie idéologique à la manipulation


La réflexion a beaucoup d’ennemis : la rhétorique, qui lui substitue des figures de style ; l’idéologie, qui l’écrase d’idées préfabriquées ; l’émotion, qui lui grille souvent la priorité.

Libération a publié un article le 14 mars 2012 intitulé « Ce soir, pas de devoirs ! », une campagne lancée par des parents et enseignants, où l’on peut voir que la FCPE, association de parents d’élèves, et l’Icem-Pédagogie Freinet (Institut coopératif de l’école moderne) s’apprêtent à lancer une campagne contre les devoirs scolaires. Je cite :

"Nous dénonçons depuis longtemps la persistance des devoirs à la maison, dont personne n'a jamais prouvé l'utilité", écrivent-ils en rappelant que les devoirs écrits sont interdits dans le primaire depuis 1956.

Les devoirs à la maison sont "cause d'inégalités pour les enfants qui n'ont ni le temps ni les moyens d'être aidés", a dit à l'AFP Catherine Chabun, responsable nationale à l'Icem, partisan de la pédagogie Freinet fondée sur l'expression libre des enfants.

Sans entrer dans une polémique partisane, c’est le raisonnement qui m’intéresse. Décortiquons-le :

Le premier paragraphe peut être schématisé ainsi :

 
Pourtant, si comme ils le disent, « personne n’a jamais prouvé l’utilité » [des devoirs], ils ne disent pas que leur non-utilité l’a été. On a donc :


Ainsi une étude sérieuse, par exemple qui analyserait la réussite scolaire de deux échantillons comparables d’élèves, l’un ayant des devoirs, l’autre n‘en ayant pas, pourrait théoriquement en arriver à la conclusion suivante :


Auquel cas :


Et leur campagne n’aurait pas de sens. Si l’utilité des devoirs était encore un point d'interrogation, il faudrait déjà la prouver ou la réfuter avant d'en tirer des conclusions.

Le second raisonnement de l’extrait pourrait être résumé ainsi :


Ce qui implique une contradiction avec le raisonnement du premier paragraphe car il n’est pas possible que


et en même temps déterminer que

 

En effet, cette dernière proposition impliquerait un lien de cause à effet entre devoirs et réussite dans certains cas, ce que la première proposition réfute faute de preuves.

Cela implique aussi un raisonnement erroné étant donné que le facteur qui détermine l’inégalité n’est non pas la présence de devoirs mais la présence d’une aide aux devoirs, qui permet de bien faire les devoirs. Or, d’après ce raisonnement, les devoirs bien faits sont une source de réussite scolaire, il serait donc déraisonnable de les supprimer (à moins de souhaiter que les élèves ne réussissent pas) :


Ceux-là même qui se battent contre les devoirs nous apportent donc la clé pour comprendre que le débat doit moins porter sur les devoirs en tant que tels mais sur l’aide aux devoirs, c'est-à-dire la possibilité pour les élèves de bien les faire.

Bref, deux raisonnements erronés de la part de gens qui ont beaucoup d’influence pour décider de l’avenir des enfants en France, ce qui m’amène à la conclusion suivante :

11 mars 2012

Apple : trop de cash tue le cash


Le monde moderne n’a pas fini de nous réserver des surprises. Dans la lignée des associations qui reçoivent « trop de dons » (cf. Tsunami 2004), Apple a inventé le concept de l’entreprise qui a « trop de cash ».

C’est ce qu’a révélé le nouveau PDG d’Apple, Tim Cook, il y a quelques semaines. « Apple has too much money ». USD 98 mds pour être exact, une somme qui n’a rien à envier à celle de l’Oncle Picsou. Mais si c’est là le rôle d’une entreprise de gagner de l’argent, en quoi est-ce un problème d’en avoir beaucoup ?

Certes il existe des explications à une telle situation, et il nous faut pour cela plonger dans la culture d’Apple. Il y a une quinzaine d’années encore, Apple vivait de grandes difficultés financières et avait rappelé son fondateur, Steve Jobs (qui avait auparavant été éjecté de l’entreprise qu’il avait créée), au siège de PDG. Celui-ci décida alors de stopper les versements de dividendes aux actionnaires afin de totalement réinvestir dans l’entreprise les cash flows générés. Les actionnaires d’Apple, privés de dividendes, seraient alors récompensés par l’augmentation de la valeur de l’action Apple.

Cette stratégie fut payante, avec le succès que l’on connaît, mais Apple connaît dorénavant un problème nouveau : les cash flows générés étant immenses, l’entreprise n’est pas en mesure de les réinvestir dans des projets suffisamment créateurs de valeurs. Cela combiné avec une politique inchangée de non-versement de dividende, et on aboutit à la situation ubuesque d’aujourd’hui : Apple a trop de cash, ce qui lui vaut régulièrement le titre de « plus gros destructeur de valeur » au monde, alors que sa capitalisation est parmi les premières mondiales. Si on ajoute à cela des raisons fiscales qui dissuadent Apple de rapatrier aux Etats-Unis son cash en devises étrangères, on a fait le tour de ce qui motive les dirigeants d’Apple à faire dormir leur cash et à répondre maladroitement aux analystes financiers qui demandent ce qu’ils comptent en faire : « et ben en fait on en a trop ».

J’ai tout de même quelques difficultés à concevoir qu’une entreprise puisse avoir trop d’argent. Ou, encore plus, il est difficile de concevoir que quiconque puisse avoir trop d’argent (regardez Ribéry…), étant donné qu’il y aura toujours quelque chose à faire de cet argent. Cette idée de « trop d’argent » est en réalité intimement liée au fait que cet argent dort sur des comptes en banque. S’il était utilisé, la question ne se poserait pas. Autrement dit, si Apple était une entreprise « normale », elle verserait des dividendes.

Cet argent devrait revenir aux actionnaires étant donné qu’il ne peut être investi dans des projets créateurs de valeurs. Mais cela en serait fini avec l’image de l’entreprise qui garde tout son cash pour faire augmenter son cours de bourse, ce serait un monde qui s’effondrerait et ébranlerait la foi dans Apple. Après la mort de Steve Jobs, serait-ce une dimension importante de son héritage qui serait détruite, bref le début de la fin d’Apple ? On a du mal à y croire, il n’y a que les imbéciles qui ne changent pas d’avis, d’autant plus que la situation d’Apple aujourd’hui n’a rien à voir avec celle de 1995.
Apple va devoir sortir de ce piège qui se referme sur elle, en résolvant le dilemme suivant : continuer à être l’électron libre de l’économie et des marchés, protégée par la communauté quasi religieuse de ses fans à travers le monde ; ou évoluer vers un modèle plus classique d’entreprise qui rémunère ses actionnaires, ses sous-traitants, et qui paie des impôts dans son pays. Si la première solution a été le modèle gagnant d’Apple ces quinze dernières années, c’est grâce à une force d’innovation sans égale qui devait beaucoup au génie de son créateur-PDG. Mais le monde change, et les attentes aussi. A l’heure où pour les investisseurs « cash is king », il est peut-être temps pour Apple d’adapter sa stratégie financière et mettre fin à son mépris pour le cash, sous peine de connaître à l’avenir de graves désillusions. Avoir du génie ne doit pas exclure de vivre avec son temps.

9 mars 2012

"Sujet très complexe donc peu médiatisé"


Je n’ose vous raconter quelle a été ma non-surprise hier – non-surprise néanmoins qui justifie une fois de plus la raison d’être de ce blog – en regardant BFM TV. Karine de Ménonville introduisait la chronique économique quotidienne de Nicolas Doze. Celle-ci traitait aujourd’hui de la Grèce et plus précisément de l’échéance de ce soir qui est cruciale pour l’avenir de la Grèce et de la zone Euro étant donné que nous saurons si les prêteurs privés préfèreront la restructuration de la dette grecque ou déclarer une situation de défaut. Karine de Ménonville a alors qualifié le sujet abordé de « très complexe, donc peu médiatisé ».

De la bouche d’une journaliste, nous obtenons donc l’aveu qu’il y a une relation de cause à effet entre la complexité des sujets et leur degré de médiatisation.

C’est une non-surprise dans la mesure où les citoyens éclairés qui regarderaient / écouteraient la plupart des grands médias avec un esprit critique s’en rendraient compte très rapidement. Loin de nous l’idée d’exagérer une petite phrase de Karine de Ménonville, qui n’a certainement pas prononcé cette phrase à dessein. Néanmoins, nous pouvons y voir peut-être une première explication du niveau médiocre de la campagne présidentielle, résumée par le simplissime syllogisme suivant : les médias traitent peu les sujets complexes ; La plupart des sujets politiques sont complexes ; donc la campagne présidentielle est très superficielle.

C’est ce qui pousse les journalistes à mettre le projecteur sur Sarkozy qui quitterait la politique s’il perdait l’élection plutôt que sur ses idées pour la France, sur des thèmes cloisonnés comme « le pouvoir d’achat », « l’emploi », « l’éducation », sans suggérer une seule seconde que tous ces domaines sont intimement liés et interdépendants, et que le débat gagnerait à prendre une dimension transversale. Cela encourage aussi à en tirer des conclusions prématurées et  par là adopter une vision binaire, souvent manichéenne : Qui est le méchant ? Qui est la victime ? La faute à qui ?

Cette non-surprise est donc accompagnée de déception à l’égard de l’institution médiatique, moi qui pense naïvement qu’elle devrait être le poumon du débat démocratique en questionnant justement sans arrêt la complexité de notre société et du monde afin d’en donner les clés de compréhension aux citoyens. Mais c’est aussi une non-surprise accompagnée d’une question : pourquoi les sujets complexes sont-ils délaissés ? Deux pistes de réponse :
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     -  Ces sujets n’intéressent pas les gens, ce qui sous-entendrait que les gens attendent des médias de l’information simple, du people, de la réflexion de comptoir avec des coupables et des victimes, des cris du cœur, de l’émotion, et donc en campagne présidentielles se satisferaient de solutions simples. Ils se lasseraient de la complexité au point de zapper et d’aller regarder/écouter le concurrent. Pour résumer, l’institution ne fait que s’adapter aux cons qui la regardent/l’écoutent.

-         - C’est l’institution médiatique qui s’est pervertie. Les lois du marketing se sont imposées au détriment de la qualité de l’information et ont remodelé le débat politique dans une forme plus « différentiante » favorable à la quête de la petite phrase, de l’idée choc, de l’invective, qui seront-elles-même source d’audience. 

C’est un peu le problème de la poule et de l’œuf. La demande a-t-elle tiré l’offre ou, comme dirait J.B . Say, l’offre a-t-elle créé sa propre demande ? C’est peut-être un peu des deux, mais cela n’enlève en rien à la gravité du constat, à savoir la dégradation de la qualité de l’Information (avec un grand i) et du débat démocratique.

4 mars 2012

La Défense, oubliée de la campagne, oubliée de la politique

Il n’y a pas mieux que la citation du Général de Gaulle lors du deuxième discours de Bayeux en 1952 pour illustrer l’importance de la Défense nationale : « La Défense ! C’est la première raison d’être de l’Etat. Il n’y peut manquer sans se détruire lui-même ». Aujourd’hui, l’Armée française est impliquée dans de nombreux théâtres, et pas des moindres, tels l’Afghanistan. Elle a mené en 2011 une guerre contre la Libye de Khadafi, et ne parlons-nous pas régulièrement d’une potentielle intervention en Syrie, ou même d’une guerre avec l’Iran ? Sans oublier la menace de divers groupes fanatiques ou indépendantistes.

Il est donc primordial pour la puissance mondiale qu’est la France de garder un outil de Défense adapté aux différentes menaces qui pèsent sur la sécurité des Français. C’est à sa politique de Défense que se mesure l’ambition d’un pays à compter parmi les nations ainsi que sa capacité à assurer sa propre sécurité, sans dépendre de ses alliés. A l’heure où le monde devient de plus en plus multipolaire, avec l’émergence de nouvelles puissances (la Chine vient d’annoncer une importante augmentation de son budget de Défense, la Russie et le Brésil prévoient eux aussi de fortement réarmer), la voix de la France ne sera pas écoutée si elle n’a pas une Défense digne de ce nom et une armée moderne et opérationnelle.

Et pourtant, dans cette période de campagne électorale, la « Grande Muette » est surtout devenue la « Grande Oubliée ». C’est pourtant un des budgets les plus importants de l’Etat ; les enjeux, nous l’avons vu, sont colossaux ; des militaires français – il faut le dire – meurent ou risquent leur peau tous les jours pour la sécurité des Français. Mais non, les candidats préfèrent dépenser leur énergie et utiliser leur verve pour offrir le spectacle pathétique qui est celui de la campagne présidentielle actuelle, où foisonnent petites phrases assassines et propositions populistes irréalisables.

Bon, d’accord, pas de jugement péremptoire. En bons citoyens naïfs que nous sommes, soucieux des questions de sécurité et de défense, demandons-nous ce que les candidats, qui occuperaient la fonction de Chef des Armées au cas où ils seraient élus, proposent en matière de Défense.

Je tape « proposition Sarkozy défense » sur google. Ah, en deuxième, un lien qui date de 2007. Plus de succès du côté des jeunes pop’s ? 18 propositions pour 2012 sur 6 thèmes, à savoir Sécurité/Justice, Education, Emploi, Logement, Famille, La France/ses valeurs. Rien sur la Défense ? Je vais voir à la page Sécurité… Ah non il ne s’agit que de sécurité intérieure. Sur le thème de la France ? Non plus… Bref je n’ai pas trouvé les propositions, elles doivent être bien cachées. Surprenant pour une « France Forte ».

Allons voir du côté du Parti Socialiste, qui a un joli passif en matière de Défense. Le passage d’Alain Richard entre 1997 et 2002 se fait encore sentir du côté des programmes d’armement… Que propose François Hollande ? Je tente une approche plus large et google « propositions François Hollande 2012 ». Je vais voir le projet présidentiel… AH OUI ! Les propositions 59 et 60 d’un projet de… 60 propositions. Si la place des propositions en dit long sur l’ordre des priorités, reconnaissons qu’il y a des propositions pour la Défense. Quelles sont-elles ? Retrait des troupes d’Afghanistan, et maintien d’une « ambition nationale élevée pour notre outil de défense ». Mais bon, ça manque de concret, ce qui me laisse penser qu’il y ait peu de chance qu’au PS, en matière de Défense, le changement soit maintenant…

Dominique de Villepin ? Je vais essayer de regarder cela très objectivement, bien que je reste encore sous le choc de sa proposition n°13 que j’ai vue hier soir sur Twitter avant de me coucher : « Permettre le vivre-ensemble via une école du socle ». On sent tout de suite l’homme de terrain… Regardons ses propositions en matière de Défense. Les six thèmes du projet : « Effort collectif », « Rassemblons-nous », « Justice sociale », « Vè République », « Economie Société Environnement », « Service Citoyen Revenu ». Agacé, je vais voir la synthèse du projet, CTRL-F « Défense », rien. Pour un soi-disant ponte des relations internationales, admirateur de Napoléon, ne rien proposer pour la Défense est révélateur de cet esprit de compromission qui caractérise la classe politique aujourd’hui, et qui a déjà caractérisé M. de Villepin lorsqu’il a refusé de participer aux commémorations du bicentenaire d’Austerlitz en 2005.

Nul besoin d’aller plus loin, tout est clair. Pour la plupart des candidats, la Défense restera une variable d’ajustement des autres budgets, où tout l’enjeu sera de préserver un minimum de capacité pour participer aux grandes opérations internationales, mais si possible sans faire la guerre. Vous comprenez, la guerre, c’est pas bien.  Et au fond, pourquoi payer pour des chars et des porte-avions alors qu’on pourrait payer pour des écoles ?

Je reviens à la citation du Général de Gaulle. Reléguer la Défense  au second rang des priorités, c’est oublier 2000 ans d’histoire, et deux Guerres mondiales qui ont vu plusieurs millions de soldats français mourir pour préserver l’existence même de la France. Mais c’est surtout compromettre l’indépendance de la France dans tous les domaines, et se refuser les moyens d’assurer la paix, qui sera la condition sans laquelle nous ne pourrons construire la société de demain.

PS : A l’heure actuelle, où les candidats à la présidentielle rivalisent d’imagination pour compenser leur manque d’idées, 3600 soldats français sont actuellement en Afghanistan dans le cadre de leur mission au service de la France. Sauf erreur de ma part, 26 sont morts en 2011, et 82 depuis le début de notre engagement