29 juin 2012

Vers la fin de la démocratie ? (2/2)


C’est une question qui m’obsède. Vraiment. Sinon je ne serais pas là à deux heures du matin à coucher mes réflexions sur du « papier ». Y a-t-il un risque réel de bouleversement des sociétés démocratiques en Europe et dans le monde ? Risquons-nous de vivre une période de chaos dont la forme est encore inconnue dans l’histoire de l’humanité ?

Ce qui semble être du pessimisme n’est au fond qu’un souci profond d’objectivité. A l’heure où tous nos gouvernants ne jurent que par le mot croissance, je ne peux m’empêcher de me demander ce qui se passerait si cette croissance ne venait pas. Cette croissance qui donnerait une bouffée d’air à des Etats asphyxiés par leur dette, qui créerait des emplois, et qui perpétuerait encore quelques années nos systèmes de protection sociale, ne serait-elle pas définitivement partie ? What if diraient les anglo-saxons, et c’est d’autant plus légitime que pour l’instant la croissance se fait attendre. A l’issue de la crise des subprimes, tout le monde attendait la relance pour 2011-2012, or arrivés mi-2012, c’est encore la récession qui monopolise les prévisions économiques.

Il existe de nombreuses théories de l’effondrement économique, et il n’est un secret pour personne (et encore moins pour ceux qui ont lu la première partie de ce billet) que les crises économiques entraînent souvent une réaction en chaîne de crises diverses et variées, et notamment politiques à travers une contestation des pouvoirs voire des régimes en place. Or la succession de crises majeures que le monde traverse depuis 2008 semble dépasser le simple cadre des cycles économiques tels qu’ils sont généralement admis : croissance, crise, récession innovation, croissance etc. Comme si ces crises portaient en elle une forme de remise en question de la dynamique économique, qui aurait atteint sa limite : cela ne fonctionne plus, et la croissance ne reviendra pas, du moins pas de sitôt.

La crise alimentaire de 2007-2008 qui a conduit aux émeutes de la faim est un exemple emblématique de bulle sur les denrées alimentaires préfigurant ce qui deviendra à terme la norme pour l’ensemble des matières premières, car nous nous approchons progressivement des limites de notre monde fini. La croissance des pays émergents est le catalyseur de ce phénomène qui tire à la hausse les prix des matières premières, dont les quantités produites qui constituant l’offre ne sont pas aussi élastiques. L’ajustement par les quantités et non par les prix devrait donc logiquement limiter les perspectives de croissance. La thèse la plus convaincante que j’ai lue à ce sujet est celle de Jean-Marc Jancovici, ingénieur consultant spécialiste des questions énergétiques et climatiques, qui explique admirablement bien, arguments d’ordre physique à l’appui, comment le PIB est in fine une fonction de la quantité d’énergie produite. Par conséquent, du fait de notre dépendance aux énergies fossiles (pétrole et gaz), la diminution des quantités produites de celles-ci entraînera une stagnation puis une baisse durable du PIB par personne si nous ne réussissons pas une vraie transition énergétique. D’après J.M. Jancovici, le déclin progressif du taux de croissance dans les pays industrialisés observé depuis les années 70 s’explique par ce phénomène, amplifié par le rattrapage des pays émergents qui captent une part croissante de la production d’énergie mondiale. La période qui s’ouvre devant nous est une période de croissance nulle ou quasi-nulle, voire négative, et ce de manière durable.

Le sujet ici étant la démocratie et non la croissance, il convient donc de s’interroger sur les conséquences politiques qu’engendrerait ce déclin économique durable s’il venait à se confirmer. Car si nous avons confiance dans la solidité de nos systèmes démocratiques pour traverser des crises économiques conjoncturelles, ils n’ont jamais été mis à l’épreuve de crises structurelles ou durables. Les crises amènent sur le devant de la scène les deux pires ennemis de la démocratie : les technocrates, qui proposent des solutions techniques, et les populistes, qui tentent de capter la contestation populaire. Nous le voyons dans la crise de la dette souveraine en Europe actuellement : alors qu’en période de prospérité, les technocrates sont inutiles et les populistes de simples agitateurs peu dangereux, les premiers exercent aujourd’hui une forte pression par le haut (Bruxelles etc.) sur le système, et les autres par le bas (Le Pen, Mélenchon etc.). Ensuite, c’est une question de temps avant d’arriver au point de rupture. L’expérience récente en Grèce montre que l’on s’en rapproche, et il y a fort à parier que la crise politique grecque ne soit pas un cas isolé mais le laboratoire de la crise politique européenne si de vraies réformes ne sont pas entreprises.

Crise économique, crise sociale, crise politique, voilà la réaction en chaîne menant au chaos et à la guerre, et il y a peu de chances que le système démocratique y résiste. Au contraire, il est encore plus vulnérable car il a, par le système de l’élection, déjà institutionnalisé sa chute. La conjonction dans le temps entre le progrès économique initié par la Révolution industriel et le mouvement irrésistible vers la démocratie dans le monde occidental depuis le XIXè Siècle n’a rien d’une coïncidence. En effet, ces deux évolutions découlent du même ensemble de droits fondamentaux garantissant les libertés individuelles, celles qui ont fait des sujets des citoyens maîtres de leur propre destin. La prospérité appelle la démocratie, seule à même de perpétuer la prospérité en garantissant les droits fondamentaux sources d’innovation, d’investissements, et donc de croissance.

Une société avec l’un sans l’autre serait hémiplégique. Et si l’on retient l’hypothèse de l’effondrement économique en raison de variables exogènes, la détention des facteurs de production par les acteurs privés ne permettrait plus d’assurer une préservation du niveau de vie général de la société, et rendrait ainsi inutile, voire contre-productif de maintenir en place un système politique qui  ne permet plus le progrès économique, social et individuel. C’est pourquoi un système démocratique est voué à mourir  avec l’effondrement économique.

La Déclaration d’Indépendance des Etats-Unis d’Amérique évoque la « poursuite du bonheur » comme un droit inaliénable de l’individu. Celui-ci est donc libre de chercher sa propre définition du bonheur, dont lui et lui seul est la source. Mais que deviennent les discours de liberté lorsque la logique de survie s’est substituée à celle du bonheur ? La démocratie telle que nous la connaissons n’est certainement pas la fin de l’Histoire. Elle doit apprendre à se remettre en question et se réinventer, à trouver une dynamique propre basée sur une autre forme de légitimité que la prospérité économique. Mais en est-ce seulement possible ?

26 juin 2012

Vers la fin de la démocratie ? (1/2)


La réflexion qui va être développée ci-après, et qui a pour objet le système politique démocratique, est née de la conjonction des trois observations suivantes :
    - Tocqueville (dont je suis en train de lire De la Démocratie en Amérique) qui sentait poindre la vague démocratique qui allait emporter les Anciens Régimes européens, et qui mettait ainsi la première brique à ce qui allait devenir la théorie de la « Fin de l’Histoire »;
      - Les technocrates qui prennent de plus en plus de place en Europe, et dont l’intégration européenne à venir va encore renforcer le pouvoir, mais qui peinent à trouver une légitimité démocratique ;
      - Le Hat Trick islamiste au Maghreb (trois révolutions, trois gouvernements islamistes en Tunisie, Libye et Egypte), symptomatique d’un élan démocratique qui déroule le tapis rouge à ceux qui lui sont opposés ;

La démocratie est le système politique le plus arrogant qui soit : elle est tellement sûre de son fait qu’elle offre une tribune aux personnes et idéologies qui veulent la détruire. Curieux système, dont il est effectivement inscrit dans l’ADN la conviction profonde qu’il est la fin de l’Histoire. Un peu comme si je me sentais tellement invincible que j’autorisais les gens à me tirer dessus. Il faut vraiment avoir confiance dans ses capacités. Cela va même encore plus loin tant il est même dans l’essence du système démocratique de donner la parole à tous, même ceux qui souhaitent lui substituer une autre forme de pouvoir, sous peine de voir le « démocratique » se transformer en « autoritaire » et ainsi gâcher plusieurs centaines d’années d’efforts.

Mais qu’est-ce qui justifie cette arrogance (ou inconscience ?) inhérente au système démocratique ? Qu’est-ce qui garantit que le système est dans une dynamique d’auto-perpétuation et que la démarche démocratique ne va pas le conduire vers d’autres contrées politiques plus ou moins malheureuses ? Il y a selon moi trois réponses possibles :
     - Le consensus national. Les citoyens, notamment du fait de leur niveau d’ « éducation », ont intégré le fait que la démocratie représentative était le moins mauvais des systèmes politiques et sont donc soucieux de le perpétuer. Ainsi, la majorité se détourne des idées destructrices et privilégient les candidats en phase avec le système ;
  - L’existence d’une forme de perversité dans le système qui en fait une forme de totalitarisme soft où aucune vraie remise en question n’est vraiment possible ou seulement en apparence. Cela pose notamment la question du rôle des médias à l’heure où les technologies de la communication en font un véritable pouvoir, certainement capable de décider de ce dont il faut ou ne faut pas parler, si ce n’est de ce qu’il faut ou ne faut pas penser. Cela pose aussi le rôle des institutions, chargées de traduire la volonté démocratique sous forme de pouvoirs ;
     - La présence de variables externes au paradigme citoyens-régime et qui auraient un rôle dans la légitimité du second vis-à-vis des premiers. La prospérité économique est la plus importante de ces variables car crise économique et crise politique sont rarement éloignées l’une de l’autre. Au fond, le consensus national autour de l’idéal démocratique serait une fumisterie car il ne ferait que cacher un consensus pour le système qui permet le mieux la croissance économique.

La vérité provient certainement des trois réponses à la fois, toutes étant certainement des conditions nécessaires mais non suffisantes pour assurer la vitalité de la démocratie. Prenons l’exemple le plus emblématique, à savoir celui de la montée du nazisme en Allemagne dans l’entre deux guerres : cette ascension a été permise par la présence de trois facteurs : une crise économique violente qui a atrophié la loyauté des gens pour le système politique en place ; un régime politique, la République de Weimar, aux institutions pas assez mûres pour garantir la stabilité politique ; et enfin un déficit de culture démocratique au sein du peuple allemand, qui plus est traumatisé par la défaite de 1918 et l’humiliation des Traités qui ont suivi. Autre exemple, celui des Révolutions arabes : les régimes autoritaires en place ont été balayés par des mouvements révolutionnaires nés de la réaction à l’incapacité de ces régimes à apporter des solutions à la pauvreté et à l’explosion du prix des matières premières. Mais ces « élans » démocratiques ne peuvent aboutir à l’installation de systèmes démocratiques en raison d’un déficit important de culture démocratique.

Néanmoins, là où la démocratie est censée être devenue la fin de l’Histoire, dans le monde occidental, je crains qu’elle ne se soit construite sur un grave malentendu, à savoir en surestimant sa première forme de légitimité (la culture démocratique), et en sous-estimant la nécessité de prospérité économique pour se maintenir. C’est ce qui expliquerait, au fond, son arrogance : en construisant de nouvelles générations de démocrates par le biais de l’éducation, nous pensons que cela est suffisant pour perpétuer la démocratie. Mais la démocratie n’est pas qu’une somme de démocrates, et le danger réel pour la démocratie vient selon moi de l’impasse économique actuelle dans laquelle se trouve le monde occidental. Cette crise économique pourrait, même en Europe, réveiller de vieux démons révolutionnaires au cas où les gouvernants ne trouveraient pas de solutions durables, et participeraient même à leur propre chute en cautionnant des coups d’Etat technocratiques uniquement destinés à mettre en œuvre l’austérité.

Nous devons prendre garde à ce que le piège de la démocratie ne se referme pas sur elle-même, car si l’élection est la forme d’expression démocratique la plus aboutie, n’oublions pas que la révolution en est sa forme la plus absolue.

23 juin 2012

Le dividende, cet ennemi


Parmi les mesures fiscales en train d’être concoctées par le nouveau gouvernement, il y aurait apparemment la création d’une taxe de 3% sur les dividendes versés par les entreprises. Cette taxe serait prélevée au niveau de l’entreprise, et non celui de l’actionnaire, et l’objectif d’une telle mesure serait d’inciter les entreprises à réinvestir les bénéfices générés au lieu de les distribuer en dividendes. En apparence, cela semble tenir d’une logique implacable. Mais en réalité, c’est presque aussi stupide que l’ancienne proposition de N. Sarkozy en son temps de vouloir imposer la règle des « trois tiers » dans les entreprises (un pour les investissements, un pour la participation des salariés, un pour les actionnaires).

Le premier constat d’une telle mesure, c’est qu’il s’agit de taxer une troisième fois ce qui est déjà taxé à deux niveaux : les bénéfices au niveau des sociétés, les dividendes au niveau de l’actionnaire. Dorénavant, à cela s’ajoutera cette taxe de 3% sur le montant versé. Une telle mesure est d’autant plus sournoise qu’elle donne l’impression de n’impacter que l’entreprise alors que le coût réel sera in fine partagé entre l’entreprise et ses actionnaires.

Le deuxième constat est que cela dénote une méconnaissance profondes des forces sous-jacentes de l’investissement, et donc de la croissance. Pour une entreprises, les trois leviers du financement de l’investissement sont l’autofinancement (=les bénéfices réinvestis), la dette, et l’augmentation du capital. Or une mesure telle que la taxation des dividendes encourage effectivement l’autofinancement, mais elle décourage la base d’investisseurs potentiels qu’une politique de dividendes intelligente est censée fidéliser. En effet, une politique de dividendes sert à maintenir l’attractivité d’une entreprise vis-à-vis des investisseurs et permet ainsi, le jour où de nouveaux investissements considérables sont à entreprendre et nécessitent une augmentation de capital (=émission de nouvelles actions), de disposer d’une base d’investisseurs enclins à investir. 

Le troisième constat est que cela traduit une inculture totale en matière de finance, étant donné que ce ne sont pas les dividendes qui dissuadent les entreprises d’investir ! Une entreprise investit dans un projet lorsqu’elle est convaincue que ce projet est créateur de valeur. Un tel projet, s’il est bien exécuté, fera augmenter le cours de l’action. Le détenteur d’actions peut très bien s’en accommoder car ce qu’il n’a pas eu en dividende a été gagné en augmentation du cours de l’action. Ainsi un investisseur, au sens général, a globalement intérêt qu’une entreprise investisse dans tous les projets à partir du moment où ils sont créateurs de valeur. Or la réussite des projets d’investissements, de même que la disponibilité du financement pour les entreprises dépend avant tout de la conjoncture économique. Pour faire simple, en période de récession, les projets attractifs sont plus rares qu’en période de prospérité. Et si une entreprises n’a pas à disposition de projets créateurs de valeur, elle continue à fidéliser ses actionnaires par des dividendes afin de pouvoir faire appel à eux le jour où il sera à nouveau bénéfique d’investir et que l’autofinancement ne suffira pas.

Le quatrième constat, c’est que cela démontre un mépris de l’investissement financier, qui reste, qu’on le veuille ou non, le driver de l’investissement productif. Or, si le gouvernement qui a institué le « redressement productif » en tant que l’une de ses missions principales compte relancer l’investissement « physique » des entreprises en décourageant l’investissement en « capital » de la part des investisseurs privés, il se dirige vers de très graves désillusions.

Je pense que la France a intérêt à garder une base solide d’investisseurs français, qu’il s’agisse des riches investisseurs, des grandes familles industrielles, ou des petits porteurs. Ces investisseurs sont le rempart contre les investisseurs étrangers peu scrupuleux à l’égard des salariés et de la société française en général, et qui n’hésiteront pas à fermer ou délocaliser les centres de production. Les investisseurs nationaux sont les garants du très à la mode « produire français » et nous avons intérêt à ce que leur épargne serve à financer les investissements productifs français que ceux des entreprises étrangères. Mais pour cela, il faut accepter de faire des concessions en termes d’impôts, et les laisser bénéficier, au moyen d’une fiscalité raisonnable, des fruits de leurs investissements. Ces investissements sont in fine générateurs de croissance, même le gouvernement a donc à y gagner.

21 juin 2012

La gauche, l’innovation financière, et la sortie de crise


Eurobonds, Eurobills, la France est pionnière des propositions de sortie de crise par le biais de l’innovation financière. Qui l’eut cru ? Cela est en effet tout à fait surprenant lorsque l’on prend un peu de recul. Les échanges virulents entre A. Merkel et J.M. Ayrault la semaine dernière tiennent de l’absurde : la première défend l’intégration économique et budgétaire en zone euro, ce que refuse le second ; et les Socialistes français veulent faire de la création de nouveaux outils financiers le premier pilier du retour à la croissance en Europe. On croit rêver.

Certes, il y a des raisons à ces prises de position surprenantes au premier abord : derrière le projet de Merkel de vouloir une avancée dans l’intégration budgétaire européenne, il y a sa volonté de mettre en place des mécanismes de contrôle des finances publiques des voisins dispendieux ; de même que le projet français d’Eurobonds et Project Bonds laisse place à une vision keynésienne de la croissance par les grands projets d’infrastructures et la dépense publique en général. Néanmoins, la contradiction demeure.

Comment un pays peut-il à la fois chercher son salut dans la création de nouveaux outils financiers alors qu’il cherche dans le même temps à définanciariser l’économie, que ce soit par la mise en place d’une taxe sur les transactions financières ou par une plus grande régulation des marchés ? Le mystère reste entier. Selon moi, c’est la même logique qui a mené aux innovations financières qui ont elles-mêmes abouti à la création de produits financiers du type des subprimes. On est tellement confiant dans la technique du produit qu’on en oublie les principes les plus fondamentaux de la finance : on ne prête pas à des contreparties insolvables, même si la valeur du collatéral est supérieure à celle du prêt. Les Eurobonds sont de la même veine : les Etats sont individuellement insolvables, mais en mutualisant leurs dettes ils disposent de certaines marges de manœuvre – jusqu’au jour où ils n’en auront plus du tout. Là aussi on oublie un axiome fondamental, à savoir qu’on n’emprunte pas au-delà de ses capacités de remboursement.

Les instruments financiers au sens large ne peuvent  jamais constituer une solution miracle car ce ne sont que des outils permettant d’optimiser la gestion du risque, la capacité à se financer, etc. Ils ne peuvent en aucun cas être une fin en soi et leur utilité ne sera effective que s’ils sont utilisés de manière adéquate et dans une stratégie de financement globale et cohérente. En ce qui concerne les Eurobonds, ils prendront tout leur sens lorsque les décisions économiques seront prises au niveau d’un gouvernement économique européen. Ils sont la conséquence logique de cet état de fait, et non son préalable. La raison à cela est que le manque d’Eurobonds n’est pas une cause de la crise de la dette en zone euro. Ces causes sont l’indiscipline généralisée des Etats dans la gestion de leurs finances publiques, le manque de compétitivité, et l’absence de politique économique commune faisant courir un risque sur l’ensemble de la zone euro. Seule une action sur ces causes sera en mesure d’enrayer durablement la crise de la dette en Europe. Les Eurobonds ne sont qu’une solution temporaire destinée à diminuer temporairement le coût de la dette (sauf pour l’Allemagne, le meilleur élève en Europe), un palliatif susceptible de gagner du temps en accroissant d’un cran la redistribution des Etats vertueux vers les plus en difficultés.

En outre, il y a une contradiction majeure dans ce projet d’Eurobonds tel qu’il est vu par nos gouvernants (qu’il s’agisse de N. Sarkozy ou de F. Hollande), puisqu’il consiste à s’en remettre davantage aux marchés financiers par l’émission d’un nouveau type de dette, alors que le projet affiché est de vouloir gagner son indépendance vis-à-vis de ces mêmes marchés. De même, cela est contradictoire avec le projet de taxe sur les transactions financières, qui va inévitablement décourager un certain nombre de transactions et affecter l’efficacité des marchés. Or, s’en remettre davantage aux marchés financiers nécessite qu’ils fonctionnent le mieux possible et qu’ils soient le plus liquides possible, afin d’être attractif pour les investisseurs.

Ce florilège de contradictions révèle en réalité le profond dilemme dans lequel se trouvent nos dirigeants, celui dans lequel était Sarkozy et celui dans lequel se retrouve encore plus F. Hollande : bien qu’ils aient toujours défendu par le passé une intégration économique plus poussée en Europe. Défendre ce projet aujourd’hui reviendrait à accepter la rigueur tout en donnant à l’Allemagne la possibilité de la faire appliquer chez les autres, et donc sans possibilité de revenir en arrière. Pour un Président qui a été élu sur un discours de refus de l’austérité, toutes les échappatoires sont bonnes, y compris chercher dans l’innovation financière des pseudo-solutions ou inventer un débat inexistant sur la croissance dont il serait le seul et unique défenseur.

Les résultats des élections françaises et grecques vont donner à F. Hollande quelques bouffées d’air avant de prendre ses premières grandes décisions, mais il devra néanmoins très rapidement clarifier ses positions sur l’Europe, l’économie et les finances publiques, avant de chercher des solutions ailleurs que chez « l’ennemi sans visage » contre qui il paraît qu’il est entré en guerre.

18 juin 2012

Faut-il en finir avec l’ONU?



Bien que De Gaulle l’appelait « le machin », l’ONU fait partie de ces institutions capables de susciter chez d’aucuns un frisson de fierté type larme-à-l’œil a son évocation. L’ONU, la sécurité collective, ou le monde des gentils contre les méchants Etats qui bradent leurs principes au nom de la Realpolitik. Vanter l’ONU, c’est vouloir la paix, les droits de l’Homme et le droit international ; et une guerre devient juste dès lors qu’elle obtient la bénédiction du Conseil de Sécurité.

Et pourtant, pour la nième fois depuis sa création, l’ONU étale au grand jour son inefficacité à apporter des solutions à une crise politique majeure, la Syrie. Cette inefficacité est triple : Incapacité de prendre des décisions concrètes ; impossibilité de faire respecter aux parties leurs engagements ; difficulté à imposer ses « observateurs », eux-mêmes accueillis par des coups de feu et autres attentats.

Sans prise de décisions et sans moyens de coercition, la tâche s’avère d’autant plus problématique que les deux composantes de la crédibilité, surtout dans le domaine des relations internationales sont la détention d’un pouvoir et la résolution à l’utiliser. Le déficit flagrant de l’ONU dans ces deux dimensions explique que l’institution n’a au fond jamais été réellement efficace dans la résolution des conflits internationaux, et a même peut-être été un générateur de conflits (je m’en expliquerai plus tard).

Cet échec récurrent est tout d’abord dû au fait que le principe de sécurité collective est un non-sens théorique. Dans un système anarchique tel que celui des Etats souverains, le pays A ne peut pas faire reposer sa sécurité sur les autres car il n’aura JAMAIS la certitude que ces derniers accepteront de lui venir en aide le jour ou il en a besoin. Les promesses n’engageant que ceux qui les croient, tous les Etats qui officiellement ne jurent que par l’ONU ne lui accordent en réalité aucune confiance en matière de sécurité et diplomatie.

La sécurité collective est en outre un non-sens pratique : Pourquoi dépenser des ressources dans un engagement à défendre ses voisins alors qu’il est déjà suffisamment difficile d’assurer sa propre sécurité ? Et ce d’autant plus lorsque l’on n’a strictement aucun intérêt à s’ingérer dans le conflit en question. Tout cela n’est qu’un vaste jeu de dupes ou les Etats essaient de se faire porter mutuellement le fardeau des interventions militaires – coûteuses ! Si en plus on ajoute à cela un cadre légal tellement strict qu’il n’autorise même pas les  casques bleus à faire usage de leur arme, même en situation de légitime défense (cf. Bosnie), nul n’est étonné de constater que personne ne veuille consacrer des moyens conséquents aux opérations lancées au nom de l’ONU. Cela va même encore plus loin, étant donné que des petits Etats sans le sou se portent volontaires pour ces opérations afin de se faire payer des équipements militaires par l’ONU, c’est-a-dire par le budget commun alimente par les autres Etats.

Pour résumer, l’ONU est une coquille vide, les Etats n’en veulent pas, ou plutôt ils n’en veulent pas pour les raisons qui ont amené à sa création. L’ONU a une utilité pour les Etats occidentaux, celle de donner l’illusion à leurs opinions publiques qu’ils agissent pour le Bien, afin d’assouvir le besoin d’angélisme de la civilisation occidentale qui n’a, en réalité, pas renoncé à son rêve messianique de guider le monde et de le mettre sur la voie de la paix durable et de la démocratie. C’est d’ailleurs ce même angélisme qui consiste à faire croire que l’intervention en Afghanistan se fait au nom de la libération du peuple afghan du joug des Talibans.

Plusieurs propositions de réformettes de l’ONU ont été avancées, et notamment la suppression du droit de veto au Conseil de Sécurité. Mais les défenseurs de cette proposition n’ont pas compris qu’elle va a l’encontre du principe même de sécurité collective, car il s’agirait de reproduire au sein de l’ONU un système d’alliances et de rapports de forces (pour obtenir la majorité qualifiée), que l’ONU devait éradiquer car soi-disant générateur de conflits.

Or je suis convaincu du contraire, à savoir qu’un système centré sur la sécurité collective est structurellement instable, car il empêche la formation d’alliances et de rapprochements entre nations  afin de garantir l’équilibre de la puissance, seul garant de stabilité. L’ONU substitue les principes aux intérêts comme fondement de la négociation entre les acteurs internationaux ; or, étant donné qu’on ne transige pas avec les principes, chacun campe sur ses positions et la situation n’évolue pas. Le recours à la Realpolitik, au contraire, a souvent permis de réelles avancées diplomatiques: l’apparition de la bombe nucléaire qui a préservé le monde d’une troisième guerre mondiale pendant le Guerre Froide ; les accords Israélo-égyptiens de Camp David en 1978, modèle du genre et toujours en vigueur plus de 30 ans après ; les accords de Dayton en Bosnie après plusieurs années d’échec de l’ONU ayant abouti entre autres à l’inaction devant le massacre de Srebrenica et à voir des casques bleus impunément utilisés comme otages et boucliers humains contre d’éventuelles frappes aériennes…

Napoléon disait que la haute politique n’est que le bon sens appliqué aux grandes choses. Là où les principes sont rois, il n’y a pas de place pour le bon sens, donc pas de place pour l’émergence de solutions innovantes et adaptées à la réalité des relations internationales ; ou aux attentes des protagonistes quels qu’ils soient.