11 mars 2012

Apple : trop de cash tue le cash


Le monde moderne n’a pas fini de nous réserver des surprises. Dans la lignée des associations qui reçoivent « trop de dons » (cf. Tsunami 2004), Apple a inventé le concept de l’entreprise qui a « trop de cash ».

C’est ce qu’a révélé le nouveau PDG d’Apple, Tim Cook, il y a quelques semaines. « Apple has too much money ». USD 98 mds pour être exact, une somme qui n’a rien à envier à celle de l’Oncle Picsou. Mais si c’est là le rôle d’une entreprise de gagner de l’argent, en quoi est-ce un problème d’en avoir beaucoup ?

Certes il existe des explications à une telle situation, et il nous faut pour cela plonger dans la culture d’Apple. Il y a une quinzaine d’années encore, Apple vivait de grandes difficultés financières et avait rappelé son fondateur, Steve Jobs (qui avait auparavant été éjecté de l’entreprise qu’il avait créée), au siège de PDG. Celui-ci décida alors de stopper les versements de dividendes aux actionnaires afin de totalement réinvestir dans l’entreprise les cash flows générés. Les actionnaires d’Apple, privés de dividendes, seraient alors récompensés par l’augmentation de la valeur de l’action Apple.

Cette stratégie fut payante, avec le succès que l’on connaît, mais Apple connaît dorénavant un problème nouveau : les cash flows générés étant immenses, l’entreprise n’est pas en mesure de les réinvestir dans des projets suffisamment créateurs de valeurs. Cela combiné avec une politique inchangée de non-versement de dividende, et on aboutit à la situation ubuesque d’aujourd’hui : Apple a trop de cash, ce qui lui vaut régulièrement le titre de « plus gros destructeur de valeur » au monde, alors que sa capitalisation est parmi les premières mondiales. Si on ajoute à cela des raisons fiscales qui dissuadent Apple de rapatrier aux Etats-Unis son cash en devises étrangères, on a fait le tour de ce qui motive les dirigeants d’Apple à faire dormir leur cash et à répondre maladroitement aux analystes financiers qui demandent ce qu’ils comptent en faire : « et ben en fait on en a trop ».

J’ai tout de même quelques difficultés à concevoir qu’une entreprise puisse avoir trop d’argent. Ou, encore plus, il est difficile de concevoir que quiconque puisse avoir trop d’argent (regardez Ribéry…), étant donné qu’il y aura toujours quelque chose à faire de cet argent. Cette idée de « trop d’argent » est en réalité intimement liée au fait que cet argent dort sur des comptes en banque. S’il était utilisé, la question ne se poserait pas. Autrement dit, si Apple était une entreprise « normale », elle verserait des dividendes.

Cet argent devrait revenir aux actionnaires étant donné qu’il ne peut être investi dans des projets créateurs de valeurs. Mais cela en serait fini avec l’image de l’entreprise qui garde tout son cash pour faire augmenter son cours de bourse, ce serait un monde qui s’effondrerait et ébranlerait la foi dans Apple. Après la mort de Steve Jobs, serait-ce une dimension importante de son héritage qui serait détruite, bref le début de la fin d’Apple ? On a du mal à y croire, il n’y a que les imbéciles qui ne changent pas d’avis, d’autant plus que la situation d’Apple aujourd’hui n’a rien à voir avec celle de 1995.
Apple va devoir sortir de ce piège qui se referme sur elle, en résolvant le dilemme suivant : continuer à être l’électron libre de l’économie et des marchés, protégée par la communauté quasi religieuse de ses fans à travers le monde ; ou évoluer vers un modèle plus classique d’entreprise qui rémunère ses actionnaires, ses sous-traitants, et qui paie des impôts dans son pays. Si la première solution a été le modèle gagnant d’Apple ces quinze dernières années, c’est grâce à une force d’innovation sans égale qui devait beaucoup au génie de son créateur-PDG. Mais le monde change, et les attentes aussi. A l’heure où pour les investisseurs « cash is king », il est peut-être temps pour Apple d’adapter sa stratégie financière et mettre fin à son mépris pour le cash, sous peine de connaître à l’avenir de graves désillusions. Avoir du génie ne doit pas exclure de vivre avec son temps.

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