21 août 2008

La France pleure ses morts

C’est un jour de deuil aujourd’hui en France. En fin de matinée, la nation a rendu hommage à ses 10 soldats tués en Afghanistan dans la nuit de lundi à mardi lors d’une embuscade tendue par les Talibans. La tristesse est générale, la consternation largement partagée, et je tiens moi-même à rendre hommage au courage et à l’engagement de ces soldats morts pour la France. Certains n’avaient pas 20 ans, d’autres étaient pères de famille, on ne peut être indifférents à une telle tragédie, d’autant plus qu’ils sont morts loin de leur famille, dans une guerre qui soulève de nombreuses questions. La tristesse est cependant mauvaise conseillère, et la mort de ces jeunes militaires ne doit pas détourner la France de ses objectifs sécuritaires vitaux. Au contraire, elle doit nous ouvrir les yeux sur la nature ces objectifs, et sur les moyens que nous sommes disposés à mettre en œuvre pour les atteindre.

 

Le premier écueil que nous devons éviter, c’est celui de la politique de l’autruche. Les militaires sont morts dans le cadre de leur engagement, pour une cause qui n’est pas vaine. Non, la guerre en Afghanistan n’est pas une question d’ingérence. Son objet n’est pas la libération des femmes afghanes, mais l’accroissement de notre sécurité nationale. Les Talibans ont toujours sponsorisé le terrorisme, et l’existence même de leur mouvement est une menace pour l’Occident. Aussi difficile que cela soit à comprendre pour une opinion soucieuse de protéger ses enfants, notre sécurité se défend aujourd’hui à l’étranger, et en premier lieu en Afghanistan et au Moyen-Orient. Se désengager de ce théâtre serait bafouer leur mémoire, tant je suis convaincu qu’ils sont tombés « pour une juste guerre » (tel que le disait Péguy).

 

La deuxième constatation suit la première. Tant qu’on ne mettra pas en œuvre les moyens militaires nécessaires pour aller déloger les Talibans de leurs montagnes et les mettre hors d’état de nuire, l’utilité et la légitimité de notre présence en Afghanistan seront remises en causes. La question des moyens a toujours succédé celle des objectifs, et on ne peut cacher à personne que si l’objectif politique est la défaite définitive des Talibans, cela nécessitera des sacrifices financiers et humains importants. La VRAIE question est donc de savoir si nous – français – sommes prêts à les accepter…

 

Le troisième constat est donc qu’il faut mettre fin à la situation actuelle rapidement qui est de l’ordre de l’hypocrisie la plus totale et dont nos malheureux soldats ont fait les frais. Les moyens ne sont pas en accord avec les objectifs, et il est évident que nos troupes sont sous-équipées pour effectuer leur mission avec un maximum de sécurité. De nombreux experts affirment qu’une reconnaissance aérienne préalable aurait permis d’anticiper l’embuscade, et qu’un appui d’artillerie devait être systématique lors de ce genre d’opération. Mais avec seulement une poignée d’hélicoptères et de mortiers à disposition sur le terrain, il est difficile de mener des opérations dans les meilleures conditions. Et ce sont malheureusement nos jeunes soldats qui ont fait les frais de ce manque de moyens indéniable. Inutile de dire que cela se reproduira si les mesures adéquates ne sont pas prises.

 

Contrairement à ce que sous-entendait M. Moscovici, la « guerre dangereuse » n’existe pas, la guerre à zéro mort non plus. Mais une guerre où les moyens ne suivent pas les objectifs est inadmissible vis à vis de ceux qui sont prêts à payer le prix du sang. Nos politiques – et notre président actuel en premier, lui qui a senti pour la première fois « la solitude du chef de l’Etat » – voient aujourd’hui le résultat de 30 ans de diminution des moyens de la défense et de pseudo-optimisation des coûts dans les armées, alors que la dangerosité croissante du monde nécessite au contraire des investissements conséquents et durables dans la défense. Que la mort de nos soldats puisse faire prendre conscience de cela à nos décideurs, enfin.

11 août 2008

Le complexe de l'éternel second

La France est le seul pays du monde où l’on aime autant la seconde place que la première. C’est un phénomène symptomatique de ce que j’appellerais le complexe français de l’éternel second. L’histoire de France elle-même semble être l’histoire d’une nation qui a toujours couru derrière son ennemi héréditaire, que je ne citerai pas. Tout en laissant la porte ouverte aux explications diverses, force est de constater que ce complexe est aujourd’hui très prégnant.

 

Il n’y a qu’à regarder les compétitions sportives à la télévision pour s’en rendre compte, dans la mesure où le journaliste sportif est l’incarnation de cette pensée défaitiste, qui a elle-même – Ô désespoir ! – parfois déteint sur nos athlètes. En 2006, les journalistes, malgré toute leur bonne volonté, ne comprenaient pas la réaction de Domenech lorsque celui-ci refusait de défiler sur les champs après la défaite contre l’Italie. Hier, ils ne comprenaient pas la moue de Fabrice Jeannet après sa défaite en finale olympique de l’épée masculine. Mais non ! C’est une merveilleuse deuxième place ! Quant au rugby… il n’y a qu’à voir comme les Français sont crispés à chaque fois qu’ils jouent contre l’Angleterre, perdant ainsi des matches qu’ils où ils étaient largement favoris (cf Coupe du monde 2007).

 

Mis en relief par rapport à la mentalité anglo-saxonne, ce complexe de l’éternel second est criant. Alors qu’en France on aura tendance à préférer le digne perdant à l’arrogant vainqueur, aux Etats-Unis seul le résultat final compte. Nous craignons la compétition, nous ne jouons pas que pour gagner – ce n’est d’ailleurs pas un hasard que l’auteur de la devise légendaire des JO soit un Français. Mais même si l’important est de participer, il n’est dit nulle part qu’on doit se contenter de la deuxième ou troisième place ! Les sportifs français sont certainement des plus exemplaires parmi les sportifs du monde entier, aussi bien en termes de fair play que de non-recours aux produits dopants. Cependant, même si le salut se trouve avant tout dans le respect des valeurs fondamentales du sport, nous ne devons pas oublier que la gloire et la reconnaissance – deux désirs inhérents à l’humanité – se trouvent dans la volonté de victoire.

 

Syndrôme français ? Je le crains, ou tout au moins je constate qu’il ne se limite pas au domaine sportif, puisqu’à chaque fois que l’on évoque des sujets internationaux, tels la mondialisation, le pessimisme pathologique est de rigueur. « Et pourquoi on s’intégrerait ? », « et si les règles ne sont pas justes ? ». Je pense personnellement que pour avoir de l’incidence sur quelconque évolution, il faut d’abord être un winner, pas un loser. Et pour être un winner, il faut en avoir la mentalité. Cessons donc de nous contenter de la deuxième place. La France n’a jamais autant respectée que quand elle a visé la première. Alors aux armes, citoyens !

5 août 2008

Les Jeux olympiques de Pékin ou le paradoxe chinois

            Vendredi 8 août commencent les très controversés JO de Pékin, l’aboutissement d’un parcours en tous points chaotique : infrastructures terminées au dernier moment grâce au travail inhumain des ouvriers, polémique liées aux émeutes du Tibet, lutte drastique contre la pollution (interdiction de 3 millions de voitures !), ouverture il y a quelques jours seulement des transports en commun, déploiement de policiers et militaires d’une ampleur sans précédent pour l’événement, refus de visas en masses (même pour les hommes d’affaires), bref… des jeux qui, plus qu’à l’ordinaire, ont fait parler d’eux.

 

Ces Jeux ne sont au final rien d’autre qu’une accumulation de paradoxes. Alors qu’ils doivent normalement être tenus sous le sceau de l’ouverture, de la mise entre parenthèses des tensions internationales, de la primauté du sportif sur le politique et de l’humain sur le matériel, les JO de Pékin offrent tout le contraire de cela. Pourtant, à trois jours de la cérémonie d’ouverture, on peut constater que la ville s’est métamorphosée, que les infrastructures sont prêtes, que la cérémonie d’ouverture promet d’être impressionnante. Les Chinois ont toujours été maîtres dans l’art du paradoxe, particulièrement depuis que leur nation est devenue l’une des plus ouvertes économiquement tout en restant l’une des plus fermées politiquement, phénomène remettant en cause les thèses les plus sérieuses de la philosophie politique.

 

Les JO de Pékin sont donc l’apogée de ce paradoxe chinois, et le monde entier en sera encore plus conscient lorsque les épreuves sportives commenceront. En effet, lorsque l’on voit la teneur de la préparation des sportifs chinois, jamais le sport n’a aussi mal porté son nom. Fini la vocation sportive, fini les rêves de gamin de devenir champion. Il est de notoriété publique que l’on choisit les enfants chinois dès le plus jeune âge pour les destiner à un sport et en faire des champions, et ce au prix d’un entraînement parfois inhumain. L’objectif n’est pourtant que politique, à savoir devancer les Etats-Unis dans le tableau des médailles. C’est triste.

 

Les Chinois vont-ils tuer le sport ? Ne tirons pas de conclusions hâtives, et attendons d’abord le tableau final des médailles. D’autant plus que le sport n’a pas forcément besoin des Chinois pour être mort, le règne de « la performance à tout prix » ayant déjà largement endommagé les valeurs sportives originelles (lire à ce sujet un article très intéressant du Castor, lien sur le côté), et dont le dopage est la terrible conséquence. Pourtant, comme disait le créateur des Jeux, Pierre de Coubertin, l’important, c’est de … quoi déjà ?

2 août 2008

Et commençons ce journal par les prévisions météo...

            Durant toute mon enfance et mon adolescence, le moment du journal télévisé était sacré. Impossible de regarder les dessins animés qui passaient sur les chaînes concurrentes à ce moment là, « ce sont les informations » me disait-on. Du temps a passé, et maintenant que je suis moi aussi en âge de regarder le journal télévisé et de m’intéresser aux informations, une question me vient à l’esprit : mais que sont exactement les informations ? J’assistais, il y a deux ans, à un cours d’un grand historien, Jean-Pierre Azéma, qui avait introduit son propos en nous disant : « l’Histoire, c’est ce que font les historiens ». En fait, il en est de même pour l’information. L’information, c’est ce que font les journalistes. On connaît tous l’adage qui dit que faire quelque chose alors que personne n’en entend parler, cela équivaut à ne pas le faire. Il n’y a rien de plus vrai, et ce dans tous les domaines. Dans celui de l’info, c’est criant. Un événement ne devient réellement « information » que lorsque son existence a été véhiculée par les médias. Si ce n’est pas le cas, il n’existe pas dans les consciences des millions de téléspectateurs.

 

Nous ne dissocions pas assez l’importance réelle d’un événement de la cause de sa présence dans le journal télévisé. Outre les événements incontournables et les faits divers qui marquent le Français moyen (qui se dit que ça pourrait lui arriver à lui aussi), les journalistes disposent d’une marge de manœuvre assez impressionnante pour décider de ce qui figurera dans le journal. Une marge de manœuvre qui a la pouvoir de désorienter le téléspectateur en lui faisant croire que ce qu’il voit à la télévision est ce qui se passe de plus important autour de lui. Combinée à la présence d’une audience qui se compte en dizaines de millions de téléspectateurs, cette marge de manœuvre est un véritable quatrième pouvoir.

 

Afin d’étayer cette affirmation, observons les informations traitées lors du journal de tf1 du 31 juillet à 20h ( titres pris sur le site de la chaîne) :

 

Meurtre de Valentin : l'ADN du meurtrier détecté ?

Bugaled Breizh: l'expert évoque un sous-marin nucléaire

Disparition troublante d'un fin gourmet suisse

800 clandestins débarquent sur l'île de Lampudesa

Karadzic évoque un accord avec l'administration US

Pollution à l'ozone : 3e jour d'alerte dans le Sud-Est

Chassé-croisé : dans les coulisses de la gare de Marseille

2 Français sur 5 ne partent pas en vacances

Camargue : les taureaux récupérés un à un

Ces plantes si jolies... mais dangereuses

Corse : ils luttent contre un barrage sur le Rizzanese

Les fêtes de Bayonne, c'est parti

JO : Les escrimeurs français sont déjà en Chine

L'ultra secrète zone 51, rendez-vous de tous les curieux

Une mosaïque exceptionnelle découverte à Alès

 

Analysons cette grille de plus près. Qu’y voyons-nous ? Du fait divers, au début, milieu, et à la fin. Je peux comprendre que l’on parle du premier, moins des autres. On y trouve aussi des événements qui font planer un parfum de mystère et de complot : sous-marin nucléaire – mais que faisait-il là ? –, disparition « troublante » d’un homme, accord secret entre Karadzic et les Américains, le mystère de la zone secrète 51. Les journalistes aiment faire croire à ceux qui les regardent qu’ils percent des mystères, qu’ils sont à la pointe de l’information (parce que bon c’est leur boulot quand même !), et surtout qu’ils mettent le doigt là où ça fait mal… En réalité, c’est juste que le téléspectateur aime le complot. Enfin, de l’événementiel sans lendemain, ou du « cyclique » : chassé-croisé, les vacances, les fêtes… Oui, certes, c’est actuel, mais est-ce nécessaire d’y consacrer quatre reportages ? Chaque année il y a des vacances d’été, donc chaque année il y a des bouchons, et des gens qui ne partent malheureusement pas. Mais chaque année ce n’est pas un scoop.

Au milieu de cela, quel traitement est réservé aux grandes questions internationales ? Aucun, excepté Karadzic (et encore…). Quid de l’OMC, dont les négociations ont échoué ce jour-même, alors qu’elles étaient d’une grande importance pour la régulation du commerce mondial ? Quid de la Turquie, où le parti du gouvernement au pouvoir a failli être interdit, menaçant de plonger dans une nouvelle crise le pays le plus stable du Moyen-Orient ? Quid des tensions au Kurdistan ? Quid de l’accord nucléaire récent entre l’Inde et les Etats-Unis ? et j’en passe. Quand je vois qu’une telle liste est celle des informations du journal le plus regardé de France, quelque chose m’échappe. L’importance d’un événement a beau être un concept subjectif, je reste néanmoins convaincu que je suis potentiellement plus affecté par une crise nucléaire avec l’Iran ou le terrorisme généré par les différentes tensions moyen-orientales et mondiales que par la fuite des taureaux en Camargue…

 

Finalement, les médias et les politiques me semblent entrés dans un jeu subtil où les premiers ne posent pas les questions importantes afin de permettre aux seconds de ne pas y répondre. Pour me consoler, j’ai donc regardé le soir 3 dans l’espoir d’y voir les résultats de la première journée de ligue 2. Je n’y ai pas eu droit, du moins pas de manière exhaustive, les trois dernières minutes étant consacré à un habitant de Valanjou et sa vache…